Beau solo de cor


V V


- Paris, Salle Pleyel, le 5 janvier 2011


- Tchaikovsky, Concerto pour Piano n°1 en si bémol mineur, op. 23 ; Symphonie n°5 en mi mineur, op. 64


- Arcadi Volodos, piano
- Orchestre de Paris
- Rafael Frühbeck de Burgos, direction



    Soit, c'est un peu polisson, comme titre. Mais pour une rentrée, mieux vaut rire des mauvaises fortunes : je ne m'attendais certes pas à un grand concert pour ouvrir 2011, mais tout de même à autre chose que ce que j'ai entendu. Pour deux raisons : d'abord parce que le travail de fond entamé par Järvi sur l'Orchestre de Paris devrait, en théorie, sous une baguette sérieuse, permettre de n'être pas ridicule dans la musique russe, fut elle la plus difficile (l'OP est bien parvenu à jouer une 6e de Prokofiev intelligible et même conduite, alors...). Ensuite parce que j'espérais autre chose d'Arcadi Volodos, et qu'à présent je me demande si je vais encore en espérer quoi que ce soit. Volodos est un cas à la fois simple et inanalysable : je ne connais aucun autre pianiste jouant si bien de son instrument pour en tirer aussi peu de discours et si peu de tension. Pourquoi, c'est un peu là le mystère. Il a tout, ou presque : la puissance naturelle, la rondeur, la clarté harmonique, l'épure des traits rapides, la souplesse, le rebond, la densité du pianissimo, évidemment la morphologie idéale, etc. Sur tel ou tel de ces attributs on en trouvera toujours une poignée d'autres encore mieux dotés, mais pas beaucoup plus. Il y a cependant au moins une chose que je perçois chez lui, qui est le manque d'immédiateté, et en conséquence le besoin de jouer des phrases ou de proposer des effets paraissant la plupart du temps prémédités. Rien que pour cela, il est très douteux d'en faire, comme il est répandu, un héritier d'Horowitz, et ce d'autant moins que son type de virtuosité n'a pas grand chose à voir avec Horowitz. 
    Bien sûr, il y a toujours un peu de dimension immédiate, intuitive, quand un pianiste dispose de telles facilités. Mais que l'on est loin d'un Berezovsky dans cet ordre là, et même d'un Matsuev des meilleurs soirs. Il y a le versant le plus caricatural de Volodos qui ressort dans ce Tchaikovsky, comme cet exposé de l'andantino durant lequel on aurait pu projeter quelque chose du genre ci-illustré : non pour illustrer la musique mais plutôt pour que la musique illustre quelque chose. Mais au-delà de ce penchant assez assumé pour le kitsch le plus racoleur, il y a un problème plus général et fâcheux, qui est l'incapacité à tendre une ligne quelconque, même à l'échelle d'une ou deux pages. Un cas particulièrement emblématique est l'absence totale d'enjeux de la progression vers la résolution du thème lyrique à la fin du premier mouvement (à partir de M. 490), résolution qui se produit dans une indifférence totale à l'effusion du passage (et ce n'était pas l'orchestre qui risquait de compenser cela). Il en va de même pour l'intermède de l'andante, qui revêt certes un certain charme à être joué de manière aussi casuelle, effleurée, mais qui sous les mains de Volodos n'a rien d'une litote au potentiel poétique ou symbolisateur dont les grands pianistes russes ont usuellement le secret. Et pour cause : même quand Volodos se place en retrait du premier degré, je n'y entends aucune intuition de l'oreille, mais encore un effet préparé. Au fond, n'y a-t-il pas un lien entre cette incapacité discursive et le prosaïsme des représentations qui semblent peupler l'imaginaire de Volodos ? S'il jouait mal du piano, je n'en viendrais pas à me poser ce genre de question, je fais presque religion ne pas m'interroger sur les imaginaires que projettent les pianistes, ceci constituant la partie la plus superficielle et illusoire de l'écoute. Le problème, c'est que Volodos joue très bien, donc il faut bien chercher de ce côté là. Et quand j'essaye de lier ce que j'entends de lui à des images, vous voyez ce que cela donne.
    Dans son 3e de Rachmaninov donné au Châtelet il y a deux ans, la dimension de facticité luxueuse était déjà comme telle identifiable : mais au moins, sans doute du fait de l'œuvre, en résultait-il une impression de maîtrise architecturale - à défaut de la moindre émotion, de la moindre relation directe et ressentie aux caractérisations, l'exact contraire ici de l'architecte doué de style (Lugansky).  Dans la forme éclatée, proche du poème symphonique du premier mouvement du Tchaikovsky, ce vernis d'intelligence formelle passe au Donna Anna, et le résultat n'est pas du Mozart. Et pas tellement du Tchaikovsky non plus, plutôt du Addinsell.
     
    Quant à la très déprimante 5e Symphonie, qu'en dire ? Presque rien, sinon que le naufrage n'a pas été systématiquement du même degré et qu'à défaut de la moindre vision, certains pupitres auront surnagé avec courage. Mieux vaut ne pas s'étendre sur le premier mouvement, indéfendable, d'une lenteur sidérante et d'une absence de tension encore plus incroyable (les deux occurrences des appels majeurs de l'harmonie, m. 154-167, 411-424,  legatissimo et plats comme un fer, en résumaient tout l'esprit). De façon générale, la direction de Frühbeck de Burgos aggrave à peu près tous les problèmes que peuvent rencontrer les musiciens de l'OP dans une musique aussi difficile. La lenteur bien sûr, mais surtout la volonté de caractériser la musique d'une manière très complaisante et occidentale, grands rallentando et phrasés théâtraux à l'appui. Les cordes s'étaient perdues... dès la dixième mesure du concerto, et n'ont jamais vraiment retrouvé leur chemin de toute la soirée. En revanche, à l'inverse de l'ordinaire proposé par l'OP, les bois ont beaucoup tenté, ne serait-ce que pour se faire entendre, et ont  contribué à faire légèrement décoller l'exécution à partir du second mouvement. Celui-ci avait été mis sur les rails de belle façon par le cor solo de Benoît de Barsony (photo), et c'est d'assez loin la meilleure chose que j'ai entendue de tout le concert, je le dis très sérieusement. S'agissant du soliste d'un pupitre dont, durant les années Eschenbach, la médiocrité était devenue proverbiale, c'est assez drôle mais pas injuste. On ne peut certes pas dire que l'harmonie dans son ensemble se soit couverte de gloire, surtout au vu du catastrophique trio de la valse. Mais contrairement aux cordes, elle s'est montré plus combative que bien souvent.
    De toute façon, je n'ai rien d'autre à proposer pour ne pas tout jeter ensemble. Entre les violons qui se sont mis à produire des attaques plus fausses les unes que les autres à la fin de l'andante (autour de E !) et dans le finale, la battue incompréhensible de Frühbeck de Burgos dans la valse (incompréhensible, donc), la progression incroyablement laborieuse du finale, et le vaste foutoir tenant lieu de coda... Dure rentrée. Ce n'est pas une raison pour ne pas être optimiste pour le prochain concert, également doublé, de l'OP, qui sera la rentrée de Järvi : le 2e de Tchaikovsky de Matsuev devrait avoir fi!ère allure, tout comme, je l'espère, le sublime Concerto pour Violon de Britten sous l'archet de Janine Jansen.
Théo Bélaud
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