Mehta donne peu

V / V V

- Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 21 janvier 2011

- Rimsky-Korsakov, Shéérazade - Brahms, Symphonie n°1 en ut mineur, op. 68

- Orchestra dil Maggio Musicale Fiorentino
- Zubin Mehta, direction



    Le temps d'évoquer cet improbable concert tombe à pic : étant victime de l'épidémie de gastro qui s'abat sur Paris, voilà une excellente excuse pour ne pas trop me fatiguer, et accessoirement pour battre à nouveau mon propre record du calembour le plus stupide imaginable - mais cependant doté de quelque signification. Zubin Mehta, légende vivante de la direction comme on n'en compte finalement plus que quatre ou cinq revendiquant une telle longévité à ce niveau (et aucun ne peut se targuer comme lui d'avoir dirigé cinquante saisons le Philharmonique de Vienne...), partage beaucoup avec Lorin Maazel, ce qui n'est pas un constat très original. Même génération, presque la même trajectoire de surdoué, beaucoup de relations orchestrales marquantes en commun (Vienne, Münich, New York), une technique de battue propre à mettre dans leur poche les musiciens les plus sceptiques malgré la propension au superficiel, et un tropisme partagé pour le spectaculaire et éventuellement le clinquant, donc aussi pour les programmes dépareillés du style de celui ici proposé. Reste le point commun le plus gênant : ces chefs, aussi cruel et péremptoire puisse paraître le constat, vieillissent bien mal : les derniers concerts parisiens de Maazel l'ont à peu près tous prouvés jusqu'à la nausée - et il est bien peu probable que je me risque à aller subir ses Mahler au printemps... Mehta n'était pas apparu chez nous depuis son concert avec Vienne en janvier 2009, concert très accessoire puisque programmé le même soir qu'un moment d'anthologie boulézienne. Au vu du présent concert, on a du mal à croire que l'on avait raté quelque chose il y a deux ans.

    J'ai rarement vu un concert,  en tout cas pour ce qu'il est convenu d'appeler le niveau international, où un chef a paru avoir aussi peu, ou aussi mal à dire. Au point que cela se passe de toute analyse, commentaire, exégèse : on ne peut vraiment décrire la vacuité, l'absence allant jusqu'à celle des interventions de mauvais goût qui auraient pu rendre la soirée au moins cocasse. En fait il y en a eu une, un piano subito du meilleur effet grotesque dans l'introduction de la 1ère de Brahms... Histoire de rappeler qui dirigeait, sans doute, car pour le reste, la seule chose à se mettre sous la dent, contre une bonne partie des attentes, a été l'Orchestre du Mai Musical Florentin. Bien des auditeurs ont dû trouver cette formation au moins aussi, sinon bien plus consternante que son directeur musical. Ce doit êre mon penchant un peu pervers pour le charme des bandes pourries d'orchestres italiens des années 50 (auxquels on finit toujours par s'habituer quand leur raison d'écoute s'appelle Furt, Kogan, Michelangeli ou De Sabata) : mais j'y ai trouvé des qualités non seulement plaisantes, mais assez rares. D'abord dans la petite harmonie, à l'opposé du velouté rond et homogène propre à charmer, mais qui présente au moins d'appréciables vertus d'intensité et de volonté de percer le tissu (notamment les hautbois). Les cuivres ont le charme rocailleux d'un autre temps, et les cordes, nonobstant leurs solos de violon et de violoncelle aussi insuffisants dans Rimsky que dans Brahms, ont au moins tout à fait cette faculté naturelle des orchestres italiens à l'économie de phrasé, qui achève de former leur communauté d'esprit avec les russes - pour des raisons assez évidentes de similitude d'écriture.

    Ces qualités auront quelque peu fait illusion dans un Rimsky foncièrement non-dirigé, sinon sur le plan de la mise en place, peu attaquable : à défaut de tension architecturale, les formes de l'engagement instrumental pouvaient donner le change, et ce d'une façon d'autant plus méritoire que l'écoute de ce Shéérazade n'avait rien d'évident, un an après celui, littéralement extraterrestre, offert par Temirkanov et Petersbourg. Il serait d'ailleurs intéressant d'entendre cet orchestre avec Temirkanov, si un jour celui-ci poussait ses incursions italiennes jusqu'à Florence. Même dans Brahms, il en ressortirait sûrement plus de discours qu'avec ce Mehta en total pilote automatique, ne proposant que lourdeur et ennui à un point confondant.
Théo Bélaud
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