A tale, full of sound and fury, not told by an idiot

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- Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 22 janvier 2010

- Wagner, Parsifal, prélude  - Mahler, Totenfeier ; Lieder Eines Fahrenden Gesellen - Liszt, Les Préludes

- Sarah Conolly, mezzo
- Orchestra of the Age of Enlightment
- Valdimir Jurowski, direction


    Second compte-rendu succinct en deux jours, avant de recouvrer mes forces. Ce concert, qui avait certes quelque peu l'apparence du gag, fut pourtant nettement moins anecdotique que le pensum offert par Mehta la veille. Ne serait-ce que par le programme était plus aisé à faire digérer, voire à faire passer pour unifié. Ensuite parce que, même avec un orchestre au niveau plus que douteux, Jurowski reste Jurowski et qu'il se passe avec lui toujours quelque chose, qui peut être contestable, horripilant pour certains, mais justement à un point qui l'empêchera de toute façon d'être anecdotique. - la démonstration, un peu moins convaincante, en avait déjà été faite la saison dernière lors du concert Beethoven des mêmes protagonistes. D'une certaine manière, on avait donc l'équation inversée du concert de Mehta/Florence : un programme stimulant, un chef passionnant, un orchestre vraiment médiocre. 
    En-dehors de son lien au nom de Simon Rattle (vous parlez d'une raison), on ne comprend pas très bien ce qui vaut à l'Âge des Lumières sa réputation quand tant d'autres formations sont capables de jouer à niveau de finition incomparablement meilleur avec petite harmonie en bois, cuivres naturels et vibrato historiciste. Il est donc assez triste d'entendre ces musiciens ânonner le prélude de Parsifal un an après avoir écouté Jurowski en diriger un superbe à la tête de son London Philharmonic : si la cohérence de la direction n'est pas prise en défaut pour autant, que la recherche d'une intensité primitive aux bois n'est pas inintéressante (mais grands dieux, comment supporter ce hautbois apocalyptique ?), la troisième dimension, celle du gag, fait l'objet d'une superbe entrée en matière, avec ces violonistes à contre-archet réguliers... dès la première mesure pour l'un d'entre eux. Quand on est habitué à la discipline jurowskienne, superlative, élevée au rang de spiritualité, le spectacle tend assez au surréalisme, surtout si l'on y ajoute les trombones incapables de réussir une entrée propre - par exemple. Les choses deviennent cependant plus intéressantes avec Totenfeier ; parce que c'est Totenfeier, d'abord, et parce que voilà au moins un Mahler que l'on n'entend par trois fois par an. Parce qu'il y a de bonnes raisons de le jouer, ensuite, et pas que comme brouillon de la Résurrection : cette page contient bien des choses dont l'absence pourrait par l'habitude nous frustrer dans le premier mouvement de la symphonie, comme cette étonnante superposition thématique à la première réexposition, fondu enchaîné thématique qui annonce bien plus que la 2e : la géniale réexposition de la 4e (le même procédé à l'envers, en quelque sorte). Enfin, parce que Jurowski prend ici de tels risques que, vaille que vaille, cela paye assez, au moins durant la première moitié de l'exécution. Le tempo est particulièrement rapide, et s'éloigne sans ambiguïté d'un idiome funèbre de premier degré : et cela ne sent pas la fuite en avant, malgré la faiblesse de l'orchestre et le manque certain de densité du quintette (les huit contrebasses alignées n'ayant rien de l'impact de celles du LPO dans la même position). Au contraire : la continuité est ici étonnante, au point que l'on retrouve un peu de cette gestion ductile de la forme qui avait tant surpris lors de la Résurrection de Gergiev le mois dernier. Impression que je reconnais volontiers comme paradoxale : l'orchestre pioche, craque et fume de partout, mais d'une étrange façon, la conduite tient presque entièrement debout.

    Sur le versant inverse de ses qualités, Jurowski parvient également à tirer le meilleur imaginable de son orchestre dans les Fahrenden Gesellen. Il y dispose surtout d'une partenaire de choix en la personne de Sarah Conolly, dont la voix n'est en rien entamée par l'âge : la sûreté de timbre y compris dans le médium grave n'empêche pas une étonnante luminosité, et une aisance de projection plus qu'appréciable. Des qualités qui ainsi énoncées pourraient paraître simplement suffisante, mais dont la grande vertu est la constance dans les registres... et dans les lieder. Et s'il faut composer avec le prosaïsme des cors dans Ich hab ein Glühend Messer, cette douce chaleur naturelle bénéficie généralement des qualité d'accompagnateur (autant d'écoute que de sens du détail juste) encore exceptionnelles de Jurowski. Même les violons boiteux de l'Âge des Lumières (pourtant toujours en plein gag, avec le concertmaster qui casse sa corde et refile son violon au chef d'attaque, qui lui déboite le chevalet et n'arrive plus à le recoller, destroy attitude, quoi) découvrent les joies de la phrase tenue et distinguée, en collant parfaitement à la simplicité d'énonciation de Conolly - "Auf der Strasse...". Puis viennent Les Préludes : et l'on se remet à tirer à hue et à dia, à tirer sur les cordes souffreteuses, à tirer au mousquet en essayant de faire croire à la Grosse Bertha. Très difficile à décrire, ce Liszt : essayez donc d'imaginer Golovanov avec des baroqueux : vous n'y arrivez pas, eh bien, il fallait venir à ce concert. Au moins était-ce amusant, et pour un peu perversement jouissif, d'autant que j'étais allé me coller à Rigail, et ai manqué d'être contaminé par son fou rire au son des timbales hystériques à l'approche de la récapitulation finale. Beaucoup de bruit pour rien ? Pas tout à fait, car au milieu de cette rumeur de joyeuses commères anglaises sous acide, il y avait quelques beaux moments de musique à goûter. Il est malin ce Jurowski. C'est même une sorte de gros malin.

Théo Bélaud
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