Récital d'Elisso Virsaladze, Seine Musicale, 5/11/2017

Mozart, Sonate pour piano n°13 en si bémol majeur, KV333
Schumann, Fantasiestücke, op. 12
Schumann arr. Liszt, Widmung (aus Myrthen, op. 25)
Liszt, Rhapsodie Espagnole, S.254

Le caractère mythique du piano d’Elisso Virsaladze n’est pas sans rapport avec sa rareté, autant qu’avec sa sévérité, son exigence d’artisan vis-à-vis de soi comme de ses auditoires. De sa présence colossale en scène il peut ressortir, à l’instar de la figure tutélaire de Richter, une tension presque néfaste à la perception musicale. Pour ce qui, fait proprement hallucinant, semblait être son premier récital (quasi-)parisien en cinquante ans de carrière, le public de la Seine Musicale a eu droit à une sorte de récital informel, lié au contexte assez curieux de l’événement. De quoi profiter pleinement d’un programme parfaitement connu, quoi que trop court, et traité avec une hauteur laissant sourdre, derrière la leçon de grand style, une profonde humanité.

En-dehors de mémorables apparitions avec Natalia Gutman (à Orsay, au Louvre et à la Grange de Meslay), en quintette et concerto (à Bruxelles), je n’ai eu vent que de trois récitals de Virsaladze en France ou à proximité, au cours de la dernière décennie (peut-être plus) : à Lyon, Nohant et La Roque d’Anthéron. Je ne l’avais du reste plus entendue sur scène depuis sa dernière venue provençale en 2011. Celle-ci proposait déjà, aux côtés de Liszt et Chopin, la sonate KV333 (ainsi qu’un diptyque en ut mineur aussi marmoréen que déchirant). Entre les inoubliables interprétations du dernier Ciccolini, et le miracle Koroliov, on peut dire que cette sonate, délicate entre toutes, a été la mieux récemment servie de Mozart. Souvent entend-on professeurs, promoteurs de disques ou critiques en mal d’inspiration parler de la nécessité de faire entendre l’opéra dans les sonates de Mozart, et presque toujours le propos est-il vain. Car si c’est pour faire passer un thème pour un personnage et un autre pour son rival ou amoureux, mieux vaut s’abstenir, non seulement de dire, mais de faire, la forme et l’expression n’en sortant pas grandies. Virsaladze a trouvé un autre chemin, qui pose l’enjeu théâtral dans la musique instrumentale de Mozart à un niveau autrement élevé de débats.


Son traitement de la forme classique lui a toujours été propre (sauf bien sûr à le relier à une tradition mozartienne soviétique plus ou moins fantasmée, à l’égard de laquelle elle conserve de toute façon une singularité). Il passe par un degré d’intégration particulièrement élevé du matériau, qui confère à l’interprétation son profil sévère. Son Mozart n’est pas celui des sentiments contrastés, pas davantage qu’il n’est illustratif. Au risque de l’indifférenciation (notamment dynamique : l’univocité est presque absolue sur ce plan), ou de la monotonie.
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