Timothy Walker |
Cette décision, de source officielle, a été prise sur la base de la mention par les signataires de leur appartenance à l'orchestre.
Voilà qui dans le meilleur des cas apparaît insincère : ils ne prétendent pas parler au nom de l'orchestre ; ils ne font que simplement s'identifier, expliquant qui ils sont. Quoi que l'on pense de la position de ces musiciens à l'égard du Philharmonique d'Israël, ils sont des êtres humains qui ont pleinement droit à la liberté de s'exprimer. D'un point de vue académique, cela est effrayant d'implications pour ceux d'entre nous qui auraient à en tirer les mêmes conséquences sur la base de leur appartenance à une organisation, et cela est extensible bien par-delà des mondes orchestraux et académiques.
Ce qui va bien au-delà de l'insincérité est la déclaration du directeur général du LPO, Tim Walker. "Au LPO, on ne mélange pas la politique et la musique". Si c'est est réellement le cas, le LPO serait sans doute la seule structure de l'histoire de la musique à s'identifier à une telle pétition de principe. Walker a-t-il déjà entendu parler de Richard Wagner ? Ou du West-Eastern Divan Orchestra ? En outre, on ne voit guère d'acte plus intrinsèquement politique que celui de jouer de la musique, et prétendre autre chose consiste comme tel à adopter une position idéologique en elle-même politique à tous égards. Tout cela n'a rien à voir avec ce que moi-même ou quiconque peut penser au sujet d'Israël, la Palestine, ou quelque controverse politique que ce soit. Je n'ai aucune intention de discuter de telles questions ici, et si je concevais de changer radicalement d'opinion à leur endroit, je n'en devrais pas moins m'opposer avec la même énergie à la décision du LPO.
Quel contraste, de surcroît, avec le cas de Valery Gergiev chantant les louanges de Vladimir Poutine et de la "Grande Russie", et dirigeant un "concert de victoire" en Ossétie du sud : Gergiev considère sans aucun doute et à bon droit que musique et politique sont liées, et le LSO ne semble pas en avoir tiré de conséquences particulières - en dépit, à n'en pas douter, des réaction au mieux mitigées provoquées par le positionnement de son chef principal. Chacun peut bien avoir son point de vue sur les boycotts, qu'il s'agisse de celui d'Israël, de l'Afrique du Sud, de l'URSS ou des États-Unis. Il ne s'ensuit pas que l'on ait à réduire au silence, ou même à sanctionner ceux qui pensent différemment.
V. Jurowski |
Je ne peux m'empêcher de m'interroger quant à la possibilité que des pressions politique et/ou économiques (les donateurs ?) aient joué un rôle ici. Peut-être n'est-ce pas le cas, mais quelles qu'aient été les raisons, l'issue est déplorable. Il faut espérer que le LPO reconsidère sa décision. En attendant, nous devrions être nombreux à reconsidérer notre présence aux concerts du LPO : ce qui est fort malheureux, d'autant que j'étais impatient d'assister au concert de Vladimir Jurowski le 24 septembre. Il serait certainement souhaitable que ce dernier s'exprime, au nom de ses musiciens.
Je n'étais pas en Grande-Bretagne lorsqu'a eu lieu le concert du Philharmonique d'Israël, et n'ai donc rien à dire à propos de l'action militante ayant perturbé sa prestation. Cependant, je renvoie à mon compte-rendu de l'extraordinaire incident survenu au Wigmore Hall, où un concert du Jerusalem Quartet fut continuellement interrompu - pour ce que cela vaut, et encore une fois indépendamment de ce que je peux penser de la controverse politique, j'ai pensé que cette "manifestation" telle qu'elle se présentait, fut bien dommageable à la cause palestinienne, et le mot est faible.
Mark Berry
(traduction Théo Bélaud).
Remarque supplétive : que ce soit en général ou en regard de la question juive, le London Philharmonic n'a pas à rougir du mélange politico-musical dans son histoire. Je rappelle qu'en 1936, lors d'une tournée en Allemagne sous la direction de son emblématique directeur de l'époque, Thomas Beecham, l'orchestre fut contraint de retirer de ses programmes la 3e Symphonie de Mendelssohn : Beecham déclina dans la foulée tout engagement en Allemagne durant la période nazie. Pour une phalange alors vieille de quatre ans, cela commençait fort.
Sur cette controverse "des quatre" (les violonistes Tom Eisner, Nancy Elan, Sarah Streatfeild et la violoncelliste Sue Sutherley) assez largement médiatisée (pour une affaire de musiciens classiques) outre-Manche, quelques autres liens : Galvin Dixon sur son blog , et deux articles successifs de Norman Lebrecht, ici et là : nul n'est obligé de partager le point de vue de Lebrecht sur cette question ou sur n'importe quelle autre, mais Lebrecht mérite toujours d'être lu, puisqu'il fait partie des critiques musicaux qui au moins en ont (des points de vue). D'ailleurs, je ne vais pas tarder à reparler de Lebrecht ici.
En attendant, un peu de (bonne) musique.
Théo Bélaud
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