Entretien réalisé le 3 juillet 2008 à Paris, Théâtre des Champs-Elysées.
Cet entretien a déjà été publié sur Classiqueinfo, dans le contexte d'un article un peu plus vaste en forme de bilan de cycle : celui-ci concluait une série de comptes rendus de l'intégrale des symphonies de Beethoven donnée en 2008 à l'occasion des adieux de Kurt Masur au directorat du National.
C'est en arrivant au TCE pour le quatrième concert de l'intégrale (concertos et symphonies) donnée avec le National que j'ai appris que Kurt Masur souhaitait évoquer de façon détaillée les raisons qui l'avaient poussé à choisir, et même à contribuer à la nouvelle édition Breitkopf & Härtel des symphonies, après que je me suis étonné dans le premier compte-rendu du cycle de ce apparaît encore aujourd'hui comme une singularité: ne pas opter pour l'édition Bärenreiter de Jonathan Del Mar. Immédiatement après une 4e Symphonie qui fut d'ailleurs la plus réussie de l'intégrale, et dont je garde encore un souvenir ému (la clarinette de Patrick Messina dans le mouvement lent...), j'étais conduit, à 23h bien sonnées, dans la loge du maestro - en pleine forme et s'exprimant avec passion - pour un échange (en anglais) que j'escomptais rapide et informel, et qui allait durer près de trois-quarts d'heures. En voici la substance (ce texte a été relu par Kurt Masur).
****************************
Bonsoir Maestro, et merci de votre invitation.
Merci d’être venu : je suis heureux d’avoir l’occasion de clarifier certaines choses, sur un sujet qui signifie beaucoup pour moi. Ma fréquentation des symphonies de Beethoven dure depuis un demi-siècle à présent, et les questions éditoriales m’ont toujours préoccupé. C’est en 1963 exactement que j’ai commencé à m’y intéresser en consultant l’autographe de la 9e Symphonie à la Bibliothèque d’Etat de Berlin, et de nombreuses copies de celui-ci et des premiers imprimés, et en découvrant notamment le problème du fameux decrescendo « manquant » de « Gott » sur l’autographe et ajouté par Beethoven sur les copies ultérieures [2] L’une des questions qui me sont apparues essentielles était celle du métronome et des indications s’y référant. Sur ce sujet et sur d’autres, notamment relatifs à la 5e Symphonie, j’ai écrit plusieurs articles dans les années soixante et eu de nombreux échanges avec des amis musicologues, et en 1970, lorsque j’ai pris la direction du Gewandhaus de Leipzig, nous avons pu commencer à travailler de près, avec Peter Hauschild déjà, notamment, à un projet d’établissement d’un nouvel urtext. Assez rapidement, nous sommes arrivés à un résultat satisfaisant pour les huit premières symphonies, mais ce n’est qu’en 1995 que nous avons pu présenter la nouvelle édition de la 9e Symphonie, et donc publier l’édition complète du corpus. Mais il faut que vous compreniez que, au tout début, on ne s’en souciait guère, ou pas très sérieusement. On se contentait de dire : « Oh, il doit y avoir une erreur de Beethoven ici. » Pourtant, systématiquement, on retrouvait des indications qui dérangeaient, toujours dans le finale de la 9e Symphonie, où il est maintenant couramment admis que l’on ne peut pas suivre des indications comme celle de la marche turque. C’est évidemment beaucoup trop lent, et (il chante) on ne le joue spontanément pas comme cela de toutes les façons. En définitive, il est clair que cela doit être mis en rapport avec le processus de mise au point du métronome, qui est postérieur à la 8e Symphonie. Beethoven a alors ajouté des indications métronomiques à ses huit premières symphonies (en 1817, ndlr).
Merci d’être venu : je suis heureux d’avoir l’occasion de clarifier certaines choses, sur un sujet qui signifie beaucoup pour moi. Ma fréquentation des symphonies de Beethoven dure depuis un demi-siècle à présent, et les questions éditoriales m’ont toujours préoccupé. C’est en 1963 exactement que j’ai commencé à m’y intéresser en consultant l’autographe de la 9e Symphonie à la Bibliothèque d’Etat de Berlin, et de nombreuses copies de celui-ci et des premiers imprimés, et en découvrant notamment le problème du fameux decrescendo « manquant » de « Gott » sur l’autographe et ajouté par Beethoven sur les copies ultérieures [2] L’une des questions qui me sont apparues essentielles était celle du métronome et des indications s’y référant. Sur ce sujet et sur d’autres, notamment relatifs à la 5e Symphonie, j’ai écrit plusieurs articles dans les années soixante et eu de nombreux échanges avec des amis musicologues, et en 1970, lorsque j’ai pris la direction du Gewandhaus de Leipzig, nous avons pu commencer à travailler de près, avec Peter Hauschild déjà, notamment, à un projet d’établissement d’un nouvel urtext. Assez rapidement, nous sommes arrivés à un résultat satisfaisant pour les huit premières symphonies, mais ce n’est qu’en 1995 que nous avons pu présenter la nouvelle édition de la 9e Symphonie, et donc publier l’édition complète du corpus. Mais il faut que vous compreniez que, au tout début, on ne s’en souciait guère, ou pas très sérieusement. On se contentait de dire : « Oh, il doit y avoir une erreur de Beethoven ici. » Pourtant, systématiquement, on retrouvait des indications qui dérangeaient, toujours dans le finale de la 9e Symphonie, où il est maintenant couramment admis que l’on ne peut pas suivre des indications comme celle de la marche turque. C’est évidemment beaucoup trop lent, et (il chante) on ne le joue spontanément pas comme cela de toutes les façons. En définitive, il est clair que cela doit être mis en rapport avec le processus de mise au point du métronome, qui est postérieur à la 8e Symphonie. Beethoven a alors ajouté des indications métronomiques à ses huit premières symphonies (en 1817, ndlr).
Il y a donc dans les symphonies des problèmes de même nature que celui du premier mouvement de la Sonate Hammerklavier [3] ?
Exactement. Le métronome auquel se réfère dans ces deux cas Beethoven n’était pas encore fixé durablement. Il ne s’agit pas à proprement parler d’erreurs. Le problème est que Beethoven a utilisé plusieurs métronomes sans pouvoir vraiment tenir compte des différences de réglage. La difficulté, toujours d’actualité, est d’achever de déterminer les cas où il se réfère à un métronome plus lent que celui que nous connaissons, et les cas où il est possible de le prendre au pied de la lettre. [4]
Quel regard portez-vous alors sur la nouvelle édition Bärenreiter, qui comme la vôtre, revendique le label urtext ?
(en 1996, ndlr) Lorsque nous travaillions sur les révisions à effectuer, Bärenreiter n’était pas intéressé par ces questions, et l’urtext "officiel" semblait devoir rester figé éternellement. Le travail de recherche préparatoire n’avait pas de soutien éditorial suffisant. Ce n’est que tout récemment qu’a été publiée cette nouvelle Bärenreiter, et cela correspond à un moment où beaucoup de gens avaient envie de disposer d’un matériau revisité, notamment en phase avec les aspirations des courants d’interprétation récents. Il se trouve que notre propre travail, avec Peter Hauschild notamment, n’a pu aboutir que presque exactement en même temps !
Est-ce à dire que l’édition Del Mar n’est rien d’autre que le reflet d’un effet de mode ?
Certainement pas, encore qu’il y a certainement un problème posé par la mode actuelle dans les symphonies de Beethoven ! Jonathan (Del Mar, ndlr), que je connais bien, a fait un travail très compétent et impressionnant. Vous avez raison de souligner que la plupart de mes collègues choisissent maintenant spontanément son édition. Et je n’empêche pas mes élèves de l’utiliser, au contraire, je les encourage à l’étudier, mais à aussi étudier toutes les autres éditions, y compris les plus anciennes ! Comme vous, Jonathan m’a demandé en quoi l’édition Breitkopf & Härtel que j’utilise depuis mon premier cycle Beethoven avec l’Orchestre National de France (en 2001, ndlr) est si différente de la sienne. Ce que je crois, c’est que certaines de ses lectures, avec lesquelles je suis en désaccord, risquent d’être surinterprétées et de donner lieux à des malentendus. Je vais vous donner un exemple que je trouve particulièrement représentatif : il s’agit d’un passage crucial, aux plans formels et émotionnels, de la marche funèbre de l’Eroica (il chante). [5] Jusque là, dans les anciennes éditions, au sommet de la phrase ascendante des premiers violons, on faisait un decrescendo continu jusqu’au forte. Jonathan a interprété, comme à d’autres endroits, le bref signe > de Beethoven comme un accent, comme on en trouve chez Schubert...
- La 3e Symphonie dans l’édition de Max Unger (libre de droits), second mouvement, mesures 180-185 (cordes).
Oui, notamment dans sa 9e Symphonie, ce qui semble en effet erroné : peut-on en déduire que la notation de Beethoven se réfère en fait à celle de Haydn, qui nous pose beaucoup moins de problèmes et est sans ambiguïté ?
C’est très probable, oui. En tous cas, Beethoven n’écrivait pas comme Schubert ! Les signes <, >, signifient toujours le crescendo et le decrescendo jusqu’à l’indication suivante, aussi brefs soit-ils sur les autographes. Quand Beethoven voulait un accent, il mettait le signe |, comme Haydn effectivement. On peut en conclure en effet que les mêmes conventions peuvent être appliquées, de là, à Beethoven : sur le passage de l’Eroica que nous évoquons, il est évident que le crescendo doit s’interrompre au sommet de la phrase ascendante, quand Beethoven cesse de noter | : exactement comme dans les sonates de Haydn où ce procédé est récurrent, en effet. (NB : le cas du premier extrait ci-dessous de la 4e, aux flûtes, est assez comparable : on peut considérer que là l’implicite et l’explicite sont exactement les mêmes, mais inversés.) Il n’y a pas lieu de rajouter un accent sur le si bémol. Et il faut se souvenir de la première occurrence de la phrase [6], où Beethoven a été là très clair quant à la nécessité d’aller jusqu’au bout du crescendo, et l’a écrit à la suite de la phrase ascendante. La seconde occurrence est transfigurée par tout ce qui s’est produit avant, la fugue et le grand moment d’angoisse qui suit. La phrase conquérante devient résignée. Il faut donc aller cette fois au bout du decrescendo ! Je considère que cet exemple est symptomatique, et il est regrettable que le travail de qualité de Jonathan puisse à partir de là donner lieu à de mauvaises habitudes interprétatives, faites de soufflets et d’accents intempestifs, comme on entend déjà trop aujourd’hui. [7]
C’est très probable, oui. En tous cas, Beethoven n’écrivait pas comme Schubert ! Les signes <, >, signifient toujours le crescendo et le decrescendo jusqu’à l’indication suivante, aussi brefs soit-ils sur les autographes. Quand Beethoven voulait un accent, il mettait le signe |, comme Haydn effectivement. On peut en conclure en effet que les mêmes conventions peuvent être appliquées, de là, à Beethoven : sur le passage de l’Eroica que nous évoquons, il est évident que le crescendo doit s’interrompre au sommet de la phrase ascendante, quand Beethoven cesse de noter | : exactement comme dans les sonates de Haydn où ce procédé est récurrent, en effet. (NB : le cas du premier extrait ci-dessous de la 4e, aux flûtes, est assez comparable : on peut considérer que là l’implicite et l’explicite sont exactement les mêmes, mais inversés.) Il n’y a pas lieu de rajouter un accent sur le si bémol. Et il faut se souvenir de la première occurrence de la phrase [6], où Beethoven a été là très clair quant à la nécessité d’aller jusqu’au bout du crescendo, et l’a écrit à la suite de la phrase ascendante. La seconde occurrence est transfigurée par tout ce qui s’est produit avant, la fugue et le grand moment d’angoisse qui suit. La phrase conquérante devient résignée. Il faut donc aller cette fois au bout du decrescendo ! Je considère que cet exemple est symptomatique, et il est regrettable que le travail de qualité de Jonathan puisse à partir de là donner lieu à de mauvaises habitudes interprétatives, faites de soufflets et d’accents intempestifs, comme on entend déjà trop aujourd’hui. [7]
L’établissement d’un nouvel urtext requiert donc selon vous cette part d’interprétation stylistique a priori. Cela vaut-il aussi dans votre propre direction ? Par exemple, dans les trios des scherzos des 2e et 3e, vous ralentissez assez nettement. Beethoven demande de ralentir les trios dans la 4e ou la 7e, mais pas dans ces deux cas...
C’est vrai, je ralentis, mais pas tant que cela, j’espère ! Le cas de la fanfare de la 3e est particulier : il y a une nécessité physique de ralentir pour que chaque note soit bien distincte aux cors, au second cor plus exactement. Mais plus généralement, je crois en effet qu’il faut considérer qu’il y a du sous-entendu, du non écrit sur les partitions de Beethoven. Le cas de la est intéressant : le scherzo en lui même est brutal, un peu gauche, d’une virilité assez fruste . Tout en étant parfaitement intégré dans sa continuité, le trio (il chante) est lui tout ce qu’il y a de plus viennois et élégamment mondain, et est violemment entrecoupé de rappels du scherzo qui ne veut pas s’effacer complètement. Les contrastes stylistiques sont extrêmes ici, et il faut leur donner sens, à mon avis, en donnant à chaque élément un tempo qui distingue sa marque stylistique. Alors, oui, ce genre de démarche est parfois nécessaire : les interprètes doivent être soumis au texte, mais ne doivent pas être esclaves d’une soumission aveugle, sans compréhension. Rechercher l’urtext d’une oeuvre et chercher la bonne façon de la diriger est une même activité, qui ne se résume pas à suivre les signes le plus exactement possible : dans les deux cas, il faut que le travail soit cultivé, que le matériau soit circonstancié : qu’il s’agisse d’éditer ou de jouer, on ne doit d’abord jamais se dispenser de comprendre.
Vous allez donner encore plusieurs fois les neuf symphonies avec l’Orchestre National de France, dans la nouvelle édition Breitkopf & Härtel. Cela ressemble à un aboutissement : aujourd’hui encore, alors que vous dirigez enfin « votre » Beethoven, restez-vous impliqué dans le travail philologique ?
Après plus de quarante ans de recherches, ces questions continuent de me passionner. Je suis toujours président de la Beethoven-Haus de Bonn, et je continue de m’investir aux côtés de Breitkopf & Härtel pour affiner notre travail sur les symphonies. Je souhaite en particulier me concentrer maintenant sur l’exploration des copies viennoises extrêmement précieuses, jusqu’ici sous-exploitées, en particulier au musée de la Staatsoper de Vienne Et surtout, j’ai bon espoir de faire mener à bien une nouvelle édition de la Missa Solemnis : cela me tient très à cœur.
À suivre, donc.
Une Quatrième représentative ?
Si celle-ci a été sans doute la plus marquante de l’intégrale donnée au Théâtre des Champs Elysées, elle est aussi celle (avec la Sixième, autre belle réussite de Masur) que le directeur du National cite systématiquement comme exemplaire du travail éditorial de Peter Hauschild, indiquant que celui-ci en permet une lecture « beaucoup plus claire ». Voici quelques observations à ce sujet, qui n’ont naturellement pas prétention à s’introduire dans le discussion académique : mais, après tout, la réception critique de l’exécution d’un nouvel urtext est aussi réception du travail éditorial l’ayant permis, et à tout le moins, si ce n’est de sa lettre, de l’esprit musical dans lequel il a été conçu.
- La 4e Symphonie dans l’édition de Max Unger (libre de droits) : second mouvement, mesures 63-65, flûtes.
Dans sa préface à la nouvelle édition Breitkopf & Härtel de la 4e Symphonie, Peter Hauschild indique en effet que certaines corrections de l’autographe attribuables à Beethoven, consécutives aux premières exécutions de l’oeuvre, figurent sur des copies spécifiques à Vienne, ainsi qu’à Prague (collection Lobkowicz). Ce n’est ceci étant pas un cas manifeste de divergence quant aux sources, puisque Jonathan Del Mar mentionne ces mêmes copies pour la 4e. La dernière-née des éditions revendiquant le label urtext dans cette symphonie, celle de Bathia Churgin [8] indique également celles-ci. De fait, il est difficile de trouver des différences profondes entre les deux éditions, mis à part les nombreuses spécificités de conventions de notations propres à chacun des deux éditeurs : parmi les plus significatives (et donc, ne relevant pas que d’arguties typographiques) on remarque celles du second mouvement, où des sextolets (Del Mar, Churgin) sont des triolets par deux (Hauschild) en de nombreux endroits, ce qui n’est potentiellement pas sans conséquences sur les habitudes d’exécution [9]. Sur ce point, faisons crédit à Hauschild d’avoir manifestement su fouiller la progression du mouvement en faisant énoncer différemment les deux occurrences d’un même passage important (de façon similaire à la Marche Funèbre dont il est question plus haut), en l’espèce celui aux cordes à nu introduisant le solo de clarinette [10], qui correspondent d’ailleurs à l’un des moments les plus réussis du cycle donné au TCE. On ne peut qu’approuver également le recours au triolet par deux pour le thème principal (cf l’extrait aux flûtes ci-dessus), bien plus en phase avec l’expressivité naturelle du thème. Ce mouvement est donc bien un cas où Hauschild offre des alternatives intéressantes à ses collègues. On note également une unique différence d’indication dynamique dans le trio du scherzo (mesure 159). C’est en fait dans l’exposé du premier mouvement que l’on trouve le plus de différences d’indications, essentiellement d’ordre dynamique, mesures 13, 30, 47, etc. Dans celui-ci, Hauschild n’indique pas de solo de basson, hautbois et flûte aux mesures 107-111 et similaires, contrairement à Del Mar et Churgin (flûtes exceptées pour ce dernier). La notation généralement plus explicite de Hauschild (voir la remarque globale plus bas) clarifie enfin (comme le faisait auparavant la seule édition Unger) la géniale partie de timbales du début du final (ci-après).
Perspectives
La 4e Symphonie dans l’édition de Max Unger (libre de droits) : quatrième mouvement, mesures 20-25, cors, trompettes, timbales et premiers violons. |
La 4e Symphonie dans l’édition de Henry Littolf (libre de droits), premier mouvement, mesures 176-183. |
Perspectives
La 9e Symphonie dans l’édition de Henry Littolf (libre de droits), premier mouvement, mesures 80-83 |
Les mêmes mesures 80-84 dans l’autographe, Staatsbibliothek zu Berlin. |
La 9e Symphonie dans l’édition de Henry Littolf (libre de droits), premier mouvement, mesures 228-233. |
Les mêmes mesures 228-233 dans l’autographe, Staatsbibliothek zu Berlin. |
Vous avez là un aperçu superficiel de chacune des signatures éditoriales en question, et de points (le dernier surtout) qu’il nous tenait à cœur de soulever. Quantité d’autres remarques serait bien entendu à faire, par exemple sur la question très incertaine de la répétition du scherzo de la 5e Symphonie [15], ou encore la fin du second mouvement de la 7e Symphonie, etc. Il va de soi que ces observations ne visent pas à l’exhaustivité. A tout le moins pouvons-nous remarquer que l’édition Del Mar, contrairement à un sentiment qui s’était répandu ces dernières années à la faveur de nombreux enregistrements, ne constitue pas le sacrement ultime du travail philologique beethovénien. Nous partageons les observations de Kurt Masur quant au risque d’une forme de récupération de cette édition à des fins velléitaires, et erronées - qui du reste ont déjà, en quelque sorte, fait leurs preuves. Dans le même ordre d’idée, le Pr. David B. Levy avait déjà mis en garde contre l’instauration de « nouvelles » et « fausses » traditons d’interprétations à la suite de la parution intégrale de l’édition Del Mar [16].
Page de garde de la nouvelle édition Breitkopf & Härtel |
Au demeurant, si la musique est une science philologique ainsi que l’entendait, au temps de Beethoven, Novalis, l’interprète et l’auditeur ne peuvent s’exonérer de leurs responsabilités vis-à-vis du travail éditorial, et de la construction de leur propre rapport au texte - et tout spécialement pour celui d’un des corpus fondamentaux de l’histoire de la musique. Et la démarche de Kurt Masur est exemplaire sous ce rapport précis, quoi que l’on puisse penser du résultat musical. Il semble que Riccardo Chailly, qui se préparerait à présenter son Beethoven d’après les copies de la bibliothèque du Gewandhaus annotées par Nikisch et Furtwängler ait aussi décidé de prendre le taureau par les cornes... et d’aller on ne peut plus à l’encontre de la mode [18] Il ne s’agit pas de préjuger du résultat : aucun établissement de texte ne peut justifier à lui seul un choix interprétatif, pas davantage qu’une technique de vibrato ou un instrumentarium plutôt que d’autres. Et il est vrai que tous les chefs dirigeant Beethoven devraient étudier l’ensemble des éditions de Berlioz à Del Mar en passant par Markevitch, et y légiférer par eux-mêmes (ou proposer leur propre texte !). Ce plutôt que d’adhérer aveuglement au pedigree idéologique supposé de telle ou telle. Le mot de la fin pourrait d’ailleurs être laissé à ... Paavo Järvi, qui, avec des considération du reste très proches de celles de Kurt Masur ici retranscrites, indique s’intéresser autant à l’édition Del Mar qu’au travail de la Beethoven-Haus - dans cet entretien avec Christophe Huss. In fine, la vérité du texte se révèle aussi dans l’acuité stylistique avec laquelle il est joué, et dans la mise en évidence des relations internes telles qu’elles sont comprises par celui qui produit les sons : ce qui est aussi la conviction, et l’émotion qu’elle produit. Quelle qu’ait pu être la nature d’une pratique d’époque que nul ne saurait plus imiter, il est clair que faire précéder le forte du passage de l’Eroica cité par Kurt Masur par un decrescendo continu et non par un accent-soufflet est adéquat à au moins une logique, celle du sentiment. Notre point de vue sur le fugato de la 9e est de la même nature. Discuter pour un cas de ce genre la pertinence scientifique du choix des uns et des autres relève du travail académique, qui est noble et légitime ; émettre cet autre type de jugement sur le résultat musical est de notre responsabilité, et d’ailleurs de celle de l’honnête mélomane.
NB : La brochure de présentation (en anglais, introduite par Kurt Masur et rédigée par Peter Hauschild) peut-être téléchargée sur le site de Breitkopf & Härtel. On peut notamment y voir les photographies de l’autographe de la 9e Symphonie sur le principal passage modifié du finale évoqué ici par Kurt Masur.
Nous remercions naturellement le Maestro Kurt Masur de nous avoir offert ce moment d’échange privilégié, et d’avoir par suite accepté la publication de notre entretien.
D’autre part, l’auteur tient à remercier, pour l’organisation et le suivi du présent entretien, Mmes Stefana Atlas, assistante de M. Masur, et Camille Grabowski, responsable de la promotion de l’Orchestre National de France.
"> *************************************************
D’autre part, l’auteur tient à remercier, pour l’organisation et le suivi du présent entretien, Mmes Stefana Atlas, assistante de M. Masur, et Camille Grabowski, responsable de la promotion de l’Orchestre National de France.
"> *************************************************
[1] A tout hasard saugrenu, nous avons vérifié que la nouvelle édition Breitkopf ne la supprimait pas : ce n’est évidemment pas le cas.
[2] Opus 125, IV, mesure 330. Peter Hauschild rétabli en effet ce decrescendo à l’orchestre qui laisse le « Gott » envahir l’espace sonore, ce qui indéniablement est du meilleur effet et permet à l’orchestre de poser l’accord réellement fortissimo sans que ne se pose le problème de l’intelligibilité du chœur.
[3] Pour lequel, depuis longtemps, la quasi totalité des pianistes ont renoncé à suivre l’indication insensée de l’autographe, soit la blanche = 138, la norme étant plutôt de la battre entre 100 et 112.
[4] Dans le même ordre d’idées, on pourrait ajouter que Beethoven semble avoir à plusieurs reprises remis en cause son enthousiasme initial pour l’invention de Maelzel, non seulement à cause de son manque de fiabilité, mais également parce qu’il ne pouvait pas le régler en dessous de 50, ce qui était rédhibitoire pour certaines indications à la blanche notamment. Surtout, il semble qu’il avait finit par penser que ses indications ne seraient de toutes façons pas suivies par ceux qui ne comprendraient pas sa musique, et que ceux qui la comprendraient n’auraient pas besoin de telles indications.
[5] Opus 55, II, mesures 180-184.
[6] Opus 55, II, mesures 16-20.
[7] Il est vrai que sur ce passage, certains chefs employant la nouvelle édition Bärenreiter font un crescendoforte mesure 184. quasi ininterrompu sur les quatre mesures en question, ce qui est manifestement un contre-sens, édulcorant la force dramatique du forte mesure 184.
[8] Eulenburg, 1998.
[9] Opus 60, II : en particulier, sur le phrasé aux violons (mesures 42-44), et aux flûtes (mesures 65-67). Ces triolets par deux figuraient déjà dans l’ancienne édition... Eulenburg (Unger), mais de façon totalement systématique - pas un seul sextolet dans tout le mouvement.
[10] Opus 60, II, mesures 26-27 d’une part, 81-82 d’autre part.
[11] Dans une lapidaire note de bas de page à la mesure en question, Del Mar écrit : « F in every sources, but can surely only be Beethoven’s error. »
[12] Les vingt-quatre autres étant Abbado, Abendroth, Barenboim, Blomstedt, Bernstein, Böhm, Cluytens, Dohnanyi, Furtwängler, Karajan, Kleiber, Klemperer, Järvi, Jochum, Mackerras, Menuhin, Monteux, Mrawinsky, Munch, Rattle, Scherchen, Szell, Van Immerseel, Walter, Wand.
[13] Opus 125, I, mesure 232.
[14] Les fugues de grande ampleur ou complexité sont légions chez le dernier Beethoven (cf opus 101, 106, 109, 110, 120, 131, 133), mais la grande découverte du compositeur est, on le sait, la possibilité d’intégration organique du procédé dans un procédé plus vaste, le développement d’une forme sonate, avec à chaque fois une fonction de plaque tournante du mouvement : cf le développement des premiers mouvements respectifs des sonates pour piano opus 106 et 111, cas les plus comparables, aux côtés de celui du final de la 9e Symphonie elle-même. Se dire donc que Beethoven aurait pu se tromper dans celui de la Neuvième ne peut que laisser perplexe.
[15] Rétablie par Hauschild, contrairement à toutes les autres éditions.
[16] David Benjamin Levy, Beethoven : The Ninth Symphony, revised edition, Yale University Press, 2003. Jonathan Del Mar avait pour sa part répondu à ces critiques sur le Beethoven Forum de l’University of Illinois.
[17] Opus 60, IV, mesures 24-25.
[18] Si l’on en croit le blog de François Dru.
[2] Opus 125, IV, mesure 330. Peter Hauschild rétabli en effet ce decrescendo à l’orchestre qui laisse le « Gott » envahir l’espace sonore, ce qui indéniablement est du meilleur effet et permet à l’orchestre de poser l’accord réellement fortissimo sans que ne se pose le problème de l’intelligibilité du chœur.
[3] Pour lequel, depuis longtemps, la quasi totalité des pianistes ont renoncé à suivre l’indication insensée de l’autographe, soit la blanche = 138, la norme étant plutôt de la battre entre 100 et 112.
[4] Dans le même ordre d’idées, on pourrait ajouter que Beethoven semble avoir à plusieurs reprises remis en cause son enthousiasme initial pour l’invention de Maelzel, non seulement à cause de son manque de fiabilité, mais également parce qu’il ne pouvait pas le régler en dessous de 50, ce qui était rédhibitoire pour certaines indications à la blanche notamment. Surtout, il semble qu’il avait finit par penser que ses indications ne seraient de toutes façons pas suivies par ceux qui ne comprendraient pas sa musique, et que ceux qui la comprendraient n’auraient pas besoin de telles indications.
[5] Opus 55, II, mesures 180-184.
[6] Opus 55, II, mesures 16-20.
[7] Il est vrai que sur ce passage, certains chefs employant la nouvelle édition Bärenreiter font un crescendoforte mesure 184. quasi ininterrompu sur les quatre mesures en question, ce qui est manifestement un contre-sens, édulcorant la force dramatique du forte mesure 184.
[8] Eulenburg, 1998.
[9] Opus 60, II : en particulier, sur le phrasé aux violons (mesures 42-44), et aux flûtes (mesures 65-67). Ces triolets par deux figuraient déjà dans l’ancienne édition... Eulenburg (Unger), mais de façon totalement systématique - pas un seul sextolet dans tout le mouvement.
[10] Opus 60, II, mesures 26-27 d’une part, 81-82 d’autre part.
[11] Dans une lapidaire note de bas de page à la mesure en question, Del Mar écrit : « F in every sources, but can surely only be Beethoven’s error. »
[12] Les vingt-quatre autres étant Abbado, Abendroth, Barenboim, Blomstedt, Bernstein, Böhm, Cluytens, Dohnanyi, Furtwängler, Karajan, Kleiber, Klemperer, Järvi, Jochum, Mackerras, Menuhin, Monteux, Mrawinsky, Munch, Rattle, Scherchen, Szell, Van Immerseel, Walter, Wand.
[13] Opus 125, I, mesure 232.
[14] Les fugues de grande ampleur ou complexité sont légions chez le dernier Beethoven (cf opus 101, 106, 109, 110, 120, 131, 133), mais la grande découverte du compositeur est, on le sait, la possibilité d’intégration organique du procédé dans un procédé plus vaste, le développement d’une forme sonate, avec à chaque fois une fonction de plaque tournante du mouvement : cf le développement des premiers mouvements respectifs des sonates pour piano opus 106 et 111, cas les plus comparables, aux côtés de celui du final de la 9e Symphonie elle-même. Se dire donc que Beethoven aurait pu se tromper dans celui de la Neuvième ne peut que laisser perplexe.
[15] Rétablie par Hauschild, contrairement à toutes les autres éditions.
[16] David Benjamin Levy, Beethoven : The Ninth Symphony, revised edition, Yale University Press, 2003. Jonathan Del Mar avait pour sa part répondu à ces critiques sur le Beethoven Forum de l’University of Illinois.
[17] Opus 60, IV, mesures 24-25.
[18] Si l’on en croit le blog de François Dru.