Théâtre des Champs-Elysées, le 12 janvier 2018
Balakirev Scherzo n° 2 en si bémol mineur ; Mazurkas n° 5 en si bémol majeur, n° 4 en sol bémol majeur; Nocturne n° 1 en si bémol mineur ; Islamey op. 18
Liadov Barcarolle en fa dièse majeur op. 44, Mazurka en fa mineur op. 57 op. 3, Prélude en si mineur op. 11 n° 1, Prélude en sol majeur op. 46 n° 3, Prélude en si bémol majeur op. 13 n° 2, Prélude en ré bémol majeur op. 10 n° 1
Rachmaninov préludes op. 32 (nos 5, 6, 9, 11, 12)
Scriabine Études op. 42 (nos 3, 4, 5) ; Sonate n° 5 op. 53
Stravinsky Trois mouvements de Petrouchka
Dans un nouveau programme original (après le Scarlatti-Beethoven-Bartok-Stravinsky déjà défendu au TCE), Boris Berezovsky renoue avec certains de ses chevaux de batailles historiques, tout en approfondissant un récent (Petrouchka) et en en défendant un nouveau, particulièrement convaincant (la 5e de Scriabine). Le poète colosse offrait là un récital certes inégal, mais des plus stimulants, non avare d’instants de grâce, voire de sidération pianistique.
Il faut d’emblée préciser que le programme annoncé aura été largement bousculé, à un point qui rend légèrement incertain jusqu’à sa reproduction ex post. Scherzi et mazurkas sont intervertis, les parties Liadov et Scriabine réduites, et la Rachmaninov modifiées - hélas... Cette entame de récital rappelle curieusement, par son climat, celle du cru 2014 de Berezovsky au TCE (splendide récital Rachmaninov-Ravel-Debussy), et les sombres miroitements de l’étude-tableau en ut mineur, dans le scherzo en si bémol mineur. Le roi Boris rayonne plus particulièrement dans la 5e mazurka, qui lui va on ne peut mieux, avec son thème versatile et de profil mi-foklorique et mi-aristocratique. Le nocturne est de toute beauté, mais l’on sent un piano encore en chauffage et, dans la section centrale, en recherche de son idéal d’allègement absolu. On le sent pourtant dans un soir enthousiaste, avec un son plein, et assez rond, dont on sait que ce n’est qu’un de ceux qu’il a dans son arsenal; en contrepartie, ce n’est pas tout de suite le Boris qui poétise tout, transforme en étude florale jusqu’aux cascades d’octaves brisées ou aux accompagnements en accords répétés : celui-là, celui qu’on aime le plus parce qu’il est unique, sans prix et sans concurrence dans le registre, ne se montrera que fugitivement dans ce récital. De façon à moitié surprenante, il pointe le bout de son nez dans un Islamey contrasté, sans doute moins puissamment intégré et dévastateur que dans ses prestations de jeune homme, mais toujours d’un niveau pianistique peu commun. Plus que la chevauchée fantastique, que le Mazeppa géant, la manière évoque le ruissellement pianistique des grands Medtner de Berezovsky. Le ton n’est pas spectaculaire, la réalisation l’est occasionnellement : d’aucuns regretteront l’absence de sauvagerie, mais ce qu’on entend est dans la continuité de l’évolution générale du pianiste, dans ce répertoire russe en particulier, avec une propension à rejeter le premier degré, le geste extérieur censé signifier. Berezovsky joue parfois, trop rarement Ligeti, mais devrait jouer davantage de musique d’aujourd’hui en général : tout le suggère dans sa façon de dé-trivialiser les clichés d’exécution des pièces de genre, comme un Pollini élimine dans la perspective boulezienne les clichés issus de la dégradation des traditions dans le répertoire romantique allemand. Seule l’intuition de l’oreille guide un geste qui ressortit à l’arabesque, ou à la danse.
Berezovsky avait donné en 2010 au Louvre un de ses grands récitals parisiens, le plus grand pour d’aucuns, avec une inoubliable 1ère Sonate de Rachmaninov.
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