Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Orfeo ed Euridice (1762)
Robert Carsen, Mise en scène
Tobias Hoheisel, Scénographie, Costumes
Philippe Jaroussky, Orfeo
Patricia Petibon, Euridice
Emőke Baráth, Amore
I Barocchisti
Chœur de Radio France
Diego Fasolis, Direction
Théâtre des Champs Elysées, 31 mai 2018
Tantôt louée pour son économe sobriété ou boudée pour sa neutre pauvreté, la production canadienne de 2007 de Robert Carsen était remontée au TCE avec une distribution luxueuse, voire show-off, mais sans un apport instrumental tout à fait à hauteur. La prestation musicale d’ensemble, dès lors, s’apprécie comme la mise en scène : avec, et dans les nuances. Le mérite de ce spectacle est, en un sens, la cohérence dans une certaine modestie - jusque dans le montage à l’économie d’une version de Vienne minimale. Il est assurément difficile de se contenter de modesties, tant scénique que musicale, quelques semaines après le retour de l’Orphée de Pina Bausch et Thomas Hengelbrock.
Diego Fasolis et ses Barocchisti ont habitué leur public à des réalisations d’un excellent niveau technique et d’un goût irréprochable. Il est donc quelque peu douloureux d’entendre leur ouverture grincer avec des phrasés si caricaturalement courts, des dynamiques parfois aléatoires et une intonation perfectible. Moins incohérente toutefois, semble-t-il, que ce qu’ont relevé certains lors de la générale et des premières représentations, où le réglage sur le diapason convenant à la tessiture de Philippe Jarrousky avait logiquement occasionné les pires difficultés à l’orchestre. Au bout de quelques soirées, il semble que celles-ci aient été en partie surmontées. Il n’en demeure pas moins que les violons paraissent comme tirer leur justesse de haute lutte. Ce point n’est pas rédhibitoire dans la mesure où Fasolis, passé l’ouverture, montre ses habituelles vertues d’économie et de tempérance, qui évitent à la caractérisation stylistique de verser dans une alacrité de timbre et de rythme schématique et permanente, chose fort pénible dans cette partition si tournée vers l’avenir romantique de l’opéra allemand. En-dehors de ses numéros extrêmes, cet Orphée a davantage le profil et le pas de celui de Gardiner que celui de Jacobs. Son harmonie fournit une prestation d’ensemble honorable sans être inoubliable, l’essentiel des vertus démontrées semblant relever du travail d’équilibre des plans, plutôt que de leurs contenus. En-dehors de l’ouverture, et des appels inauguraux de l’acte II, bien malingres, l’effectif réduit parvient à tenir la dynamique sans brusquerie et avec des alliages plutôt réussis entre cordes frottées, pincées et vents. L’ornementation ne manque pas, parfois, d’abuser de fioritures, en particulier dans le ballet - tronqué - des ombres heureuses. Le plus souvent versée dans une sorte de neutralité de ton, dynamique sans être tapageuse ni maniérée, la direction de Fasolis a pour mérite principal de filer droit. Ce n’est évidemment pas assez pour que l’on en retienne grand chose, sinon les rares excès, en l’occurrence dans le survol - notamment du second andante de l’acte II précisément celui-là qui, dans son onirique gravité, était peut-être le sommet musical, en plus d’être l’acmé chorégraphique, de la proposition d’Hengelbrock.
Le Choeur de Radio-France, sans démériter le moins du monde, ne se situe pas non plus, dans cette musique au moins, au niveau du Balthasar Neumann Chor. Il faut cependant bien insister sur le fait que son exercice est fort différent de nature. Partie prenante de la mise en scène, ou plutôt de la scénographie, il a plus à faire : mais il a aussi l’avantage d’être sur scène et de sonner en conséquence, dans une relation bien plus aérée à l’orchestre, et plus naturelle avec Orphée. On ne saurait bouder, dans les choeurs extrêmes de la version de Vienne notamment, cette vertu pratique. Mais il y a un aspect mis en balance, qui est lié à la nature de son utilisation scénique. Carsen, on y reviendra, fait au fond du choeur son principal protagoniste, et semble avoir consacré plus de minutie à en diriger les mouvements que ceux de ses rôles principaux. De la sorte, c’est à un trait essentiel de l’originalité de l’oeuvre qu’il est rendu hommage : et bien que la version primitive d’Orfeo n’ait pas eu tant la danse en vue, l’usage fait du choeur a bien quelque chose de chorégraphique, au moins dans la logique d’occupation de l’espace. Mais étant en mouvement quasi-permanent, mouvement qui est presque individualisé dans la première scène de l’acte II, il paye cette contribution scénique d’un manque de cohésion rythmique, essentiellement gênant sur son se intorno a quest’urna funesta. Au moins l’intonation demeure-t-elle sans reproche, mais le défaut d’impériosité finit, dans cette partition, par être un défaut de théâtralité. Lire la suite sur Wanderer
Orfeo ed Euridice (1762)
Robert Carsen, Mise en scène
Tobias Hoheisel, Scénographie, Costumes
Philippe Jaroussky, Orfeo
Patricia Petibon, Euridice
Emőke Baráth, Amore
I Barocchisti
Chœur de Radio France
Diego Fasolis, Direction
Théâtre des Champs Elysées, 31 mai 2018
Tantôt louée pour son économe sobriété ou boudée pour sa neutre pauvreté, la production canadienne de 2007 de Robert Carsen était remontée au TCE avec une distribution luxueuse, voire show-off, mais sans un apport instrumental tout à fait à hauteur. La prestation musicale d’ensemble, dès lors, s’apprécie comme la mise en scène : avec, et dans les nuances. Le mérite de ce spectacle est, en un sens, la cohérence dans une certaine modestie - jusque dans le montage à l’économie d’une version de Vienne minimale. Il est assurément difficile de se contenter de modesties, tant scénique que musicale, quelques semaines après le retour de l’Orphée de Pina Bausch et Thomas Hengelbrock.
Diego Fasolis et ses Barocchisti ont habitué leur public à des réalisations d’un excellent niveau technique et d’un goût irréprochable. Il est donc quelque peu douloureux d’entendre leur ouverture grincer avec des phrasés si caricaturalement courts, des dynamiques parfois aléatoires et une intonation perfectible. Moins incohérente toutefois, semble-t-il, que ce qu’ont relevé certains lors de la générale et des premières représentations, où le réglage sur le diapason convenant à la tessiture de Philippe Jarrousky avait logiquement occasionné les pires difficultés à l’orchestre. Au bout de quelques soirées, il semble que celles-ci aient été en partie surmontées. Il n’en demeure pas moins que les violons paraissent comme tirer leur justesse de haute lutte. Ce point n’est pas rédhibitoire dans la mesure où Fasolis, passé l’ouverture, montre ses habituelles vertues d’économie et de tempérance, qui évitent à la caractérisation stylistique de verser dans une alacrité de timbre et de rythme schématique et permanente, chose fort pénible dans cette partition si tournée vers l’avenir romantique de l’opéra allemand. En-dehors de ses numéros extrêmes, cet Orphée a davantage le profil et le pas de celui de Gardiner que celui de Jacobs. Son harmonie fournit une prestation d’ensemble honorable sans être inoubliable, l’essentiel des vertus démontrées semblant relever du travail d’équilibre des plans, plutôt que de leurs contenus. En-dehors de l’ouverture, et des appels inauguraux de l’acte II, bien malingres, l’effectif réduit parvient à tenir la dynamique sans brusquerie et avec des alliages plutôt réussis entre cordes frottées, pincées et vents. L’ornementation ne manque pas, parfois, d’abuser de fioritures, en particulier dans le ballet - tronqué - des ombres heureuses. Le plus souvent versée dans une sorte de neutralité de ton, dynamique sans être tapageuse ni maniérée, la direction de Fasolis a pour mérite principal de filer droit. Ce n’est évidemment pas assez pour que l’on en retienne grand chose, sinon les rares excès, en l’occurrence dans le survol - notamment du second andante de l’acte II précisément celui-là qui, dans son onirique gravité, était peut-être le sommet musical, en plus d’être l’acmé chorégraphique, de la proposition d’Hengelbrock.
Le Choeur de Radio-France, sans démériter le moins du monde, ne se situe pas non plus, dans cette musique au moins, au niveau du Balthasar Neumann Chor. Il faut cependant bien insister sur le fait que son exercice est fort différent de nature. Partie prenante de la mise en scène, ou plutôt de la scénographie, il a plus à faire : mais il a aussi l’avantage d’être sur scène et de sonner en conséquence, dans une relation bien plus aérée à l’orchestre, et plus naturelle avec Orphée. On ne saurait bouder, dans les choeurs extrêmes de la version de Vienne notamment, cette vertu pratique. Mais il y a un aspect mis en balance, qui est lié à la nature de son utilisation scénique. Carsen, on y reviendra, fait au fond du choeur son principal protagoniste, et semble avoir consacré plus de minutie à en diriger les mouvements que ceux de ses rôles principaux. De la sorte, c’est à un trait essentiel de l’originalité de l’oeuvre qu’il est rendu hommage : et bien que la version primitive d’Orfeo n’ait pas eu tant la danse en vue, l’usage fait du choeur a bien quelque chose de chorégraphique, au moins dans la logique d’occupation de l’espace. Mais étant en mouvement quasi-permanent, mouvement qui est presque individualisé dans la première scène de l’acte II, il paye cette contribution scénique d’un manque de cohésion rythmique, essentiellement gênant sur son se intorno a quest’urna funesta. Au moins l’intonation demeure-t-elle sans reproche, mais le défaut d’impériosité finit, dans cette partition, par être un défaut de théâtralité. Lire la suite sur Wanderer