Salonen/Philharmonia, Beethoven, Mahler, TCE 16/4/18

Beethoven, Symphonie n°2 en majeur, op. 36
Mahler, Symphonie n°1 enmajeur, “Titan”
Philharmonia Orchestra
Esa-Pekka Salonen
, direction
Théâtre des Champs-Elysées, le 16 avril 2018


Les retrouvailles avec le Salonen symphonique (après ses passages réussis dans les fosses de Garnier et Bastille à l’automne) n’ont pas déçu. Ce n’était pas tenu pour acquis après que certains de ses derniers concerts avec le Philharmonia m’avaient laissé des sentiments mitigés. Il y avait certes eu le Sacre du centenaire, mais aussi un concert Schoenberg-Zemlinsky un peu terne ; le long, inégal mais parfois stimulant cycle Bartók ; et l’an dernier une belle et sage Héroïque suivie d’une exemplaire 5e de Sibelius. Bref, on est habitués à ce que le Finlandais volant souffle chaud et froid. Son Beethoven, à coup sûr singulier et refusant d’être rangé dans une case, demeure problématique, mais au moins propose-t-il un point de vue. Son Mahler, parcimonieux et encore jamais entendu à Paris, est en revanche, de loin, un des plus enthousiasmants entendus ces dernières années.
Au début de la décennie, à la Beethovenfest de Bonn notamment (mais pas à Paris), Salonen et le Philharmonia proposaient à plusieurs reprises un cycle Beethoven laissant entrevoir de beaux lendemains. Les bandes laissaient deviner une mise en valeur de la forme nettement supérieure à l’ordinaire, sans artifices théâtraux ni arêtes exagérées. Salonen semblait en bonne voie de réussir un Beethoven de tradition rénovée (comme notamment Haitink et le LSO avant, et Jansons et le BRSO peu après), plutôt que de synthèse (comme Rattle ou Chailly), vif et aux plans découverts, mais respirant large et conservant une matière sonore flatteuse, ne dénaturant pas la texture naturelle de l’orchestre. En l’espèce, le Philharmonia n’est pas Berlin, Leipzig ni Munich, et n’est pas non plus semblable aux autres phalanges londoniennes. Son quintette, en particulier, se distingue par un caractère plus rauque, voire acide, et l’équilibre général est plus nettement porté vers les basses, tendance que Salonen a sans doute une propension à souligner. Son harmonie, petite et grande, a un coffre exceptionnel mais sans l’éclat, voire la tendance au clinquant, du LSO. Cet orchestre sombre et puissant, parfois rustique dans le bon sens du terme, à la personnalité demeurée unique quoi qu’ayant évolué, est en quelque sorte devenu le Dresde anglais. Le Philharmonia a par ailleurs pris la bonne habitude (au contraire de Dresde justement, du LPO ou encore de Saint Petersbourg) de ne pas s’enfermer dans la boîte de la scène du TCE, et d’occuper toute la surface de celle-ci, de sorte à bien mieux laisser respirer le son.
Ce que Salonen en tire dans Beethoven, sur le strict plan de l’identité sonore, semble hélas s’être quelque peu appauvri, sinon dégradé depuis leurs premiers essais beethovéniens. Deux facteurs permettent de l’expliquer. Le premier est matériel : le recours étrange, et me semble-t-il récent aux trompettes naturelles, alors que les cors sont d’harmonie. Le déséquilibre de timbres ainsi obtenu, en poussant artificiellement l’équilibre dynamique vers le haut du spectre, est désagréable sans créer de surcroît utile d’arêtes harmoniques ou rythmiques. Ces arêtes ne sont que de texture, et tranchent, sinon jurent dans le son d’orchestre naturel : elle ne destructurent pas celui-ci pour autant, comme celles de Rattle avec Berlin, mais simplement compromettent sa respiration, son espace naturel d’expression, et l’agrément de sa perception. Avec des trompettes pétards et des cors fondus, on aboutit à survaloriser l’accentuation et à dévaloriser le grain, les alliages : malgré toutes leurs qualités et une direction plus nuancée, Jurowski et le London Philharmonic avaient d’ailleurs produit la même impression dans leur 9e donnée dans la même salle . Il faut bien dire le sentiment sans tourner autour du pot : les trompettes naturelles sont laides et appauvrissent l’expression, la dynamique et le timbre, alors que les cors naturels sont beaux et enrichissent tout cela. Dès lors, on est face à ce choix comme à une poule face au couteau, poule qui en plus aurait des dents. Lire la suite sur Wanderer