S.-M. Rouvali, L. Ove Andsnes, OPRF, Radio-France 8/6/18

SibeliusRomance en ré bémol majeur, op. 24 n°9  ; Der Hirt, op. 58 n°4
Debussy, EstampesDebussy, Fantaisie pour piano et orchestre

Sibelius, Symphonie n°1 en mi mineur, op. 39
Leif Ove Andsnes, pianoOrchestre Philharmonique de Radio-France
Santu-Mattias Rouvali, direction


Auditorium de Radio-France, le 8 juin 2018
Le Philharmonique de Radio-France poursuit avec sérieux et implication d’arpenter le corpus sibélien. Après cinq ans d’une pratique régulière sous la baguette de Mikko Franck mais aussi de certains invités, la familiarité et le goût démontré par l’orchestre pour cette musique fait plaisir à voir, tout comme son enthousiasme pour le rookie Rouvali. Ce concert au programme plaisant et original, débuté par Sibelius au piano et terminé par Sibelius à l’orchestre, était surtout une nouvelle occasion de mesure le rayonnement, la plénitude heureuse de l’art d’Andsnes, désormais arrivé à maturation.
Le maître norvégien apparaît plus souverain que jamais quel que soit l’exercice : récitaliste, comme cette saison dans son son somptueux et électique programme, dans le lied comme dans la musique de chambre. On ne l’avait pas entendu en concerto à Paris depuis sa magistrale intégrale des concertos de Beethoven dirigée du clavier avec le Mahler Chamber Orchestra. Andsnes était un choix évident, en regard de ses programmes récents, pour participer à une duographie sibélo-debussyste, en jouant le jeu de l’ouverture intimiste, dont le charme commence à s’imposer à Radio-France – en dépit des limites acoustiques de la salle et des lourdeurs de changements de plateaux induites. On en revient encore à ces basses préoccupations matérielles s’agissant du nouveau auditorium, mais pour une fois, l’on ne devrait pas. La liste est longue des pianistes dotés d’excellentes, voire d’exceptionnelles capacités à faire sonner l’instrument qui se sont produits dans cette salle déjà. Mais Andsnes les surpasse vraisemblablement tous pour ce qui est de cet aspect. La sécheresse et la brièveté de résonance de l’auditorium ne lui font ni chaud ni froid. Ou plutôt, l’on imagine que le professionnel si minutieux et perfectionniste qu’il est a pris le temps d’adapter son jeu au lieu. C’est en soi un processus fascinant à observer, même si cette fois ce n’est qu’au résultat final qu’on a affaire. Consciemment ou non, Andsnes ajuste à la fois la sonorité et le phrasé, qui ont partie liée bien sûr, n’est-ce que par la pédale. C’est frappant dès les premières mesures de son admirable romance de Sibelius, en se remémorant le récital donné au vaste et profond Lingotto de Turin. Le rubato est plus libre de sorte à laisser des respirations dans un jeu de pédale plus appuyé. Andsnes donne au thème un caractère moins magistral et plus improvisé. Ou plus ambigu : une grande force de cette pièce sans prétention, mais si émouvante quand elle est jouée à un tel niveau, est la vitesse de la modulation du motif principal, qui condense en une arabesque une marche harmonique qu’on aurait attendu beaucoup plus longue au vu de l’aspect initial du matériau, harmoniquement statique. C’est ce qui donne l’impression, dans sa présentation, qu’il vient déjà de très loin et que c’est une version déjà synthétisée qui en est jouée. L’incipit par l’accompagnement nu à la main droite suggère que ce rythme était joué avant que la pièce ait commencé et qu’une transition harmonique a précédé le retour à la fondamentale. La pièce paraît débuter par la fin, par une remémoration, ou une ellipse, comme beaucoup de pièces de Janacek. Andsnes, par le poids naturel et détendu qu’il donne aux notes, est maître de cette coloration troublante, et donne une ampleur extraordinaire à l’exercice improbable consistant à ouvrir un concert symphonique des plus sérieux avec cette quasi-bluette.