Programme
Brahms, Quintette à cordes n°2 en sol majeur, op. 111
Dvořák , Quintette à cordes n°2 en mi bémol majeur, op. 97
Quatuor Pavel Haas
Veronika Jarůšková, violon 1 ; Marek Zwiebel, violon 2 ; Jiří Kabát, alto ; Pavel Nikl, alto ;
Peter Jarůšek, violoncelle
Paris, Théâtre des Abbesses, le 19 janvier 2019
Les dernières apparitions des Haas dont nous avons été témoin mettaient à genoux devant une souveraineté totalisante : équilibres et intonation immaculés, autorité extrême de la conception interprétative, en particulier dans un extraordinaire concert Britten-Schubert-Smetana au Louvre (en 2012). La formation paraît plus que jamais au summum de son développement, c’est-à-dire au point d’équilibre idéal entre la maturation collective et la pleine maîtrise instrumentale. Ses derniers enregistrements consacrés à Dvořák, en particulier un opus 106 qui est, peut-être, le plus parfait et bouleversant qui nous ait été donné à ce jour, sont des splendeurs comme le disque n’en offre plus guère. Même les nombreux changements de personnel ne semblent pas affecter la trajectoire d’un quatuor qui semble se bonifier continuellement. L’arrivée d’un quatrième second violon en douze ans (en 2012) a peut-être même été l’événement le plus catalyseur de cette évolution, le jeu de Marek Zwiebel s’imposant comme une sorte d’idéal absolu du rôle, laissant tout l’espace nécessaire à l’expression du gigantesque potentiel expressif de Jarůšková, mais occupant le sien avec un charme en clair obscur de chaque instant, faisant toujours tendre l’oreille vers le dessous de la texture. Le départ en 2016 de l’altiste Pavel Nikl, cofondateur des Haas avec Jarůšková, pouvait inquiéter : mais après une période d’instabilité, son remplaçant, Jiří Kabát, paraît solidement intégré à l’ensemble. Le fait de se tourner au cours de ces dernières saisons vers un répertoire de quintette à deux altos, que les Haas n’avaient pas tant pratiqué jusqu’alors, a sans nul doute contribué à adoucir cette transition et à en assurer un débouché heureux. On ne se méfie jamais assez des apparences relationnelles d’un quatuor, mais l’on aime à se dire, au vu de la complicité qui paraît toujours unir Nikl à ses partenaires de près de vingt ans, que les choix de programmes ont été aussi, en partie, motivés par la difficulté de se séparer trop brutalement. Et par esprit d’escalier pourrait-on ajouter que l’on attend toujours de connaître le Mozart des Pavel Haas, et que commencer par les quintettes serait, peut-être, la plus désirable manière d’y remédier.
Le caractère immanquable d’un tel concert a trait autant à son programme qu’à la qualité de ses protagonistes. Si les cycles chambristes brahmsiens sont devenus (particulièrement ces dernières saisons) un passage obligé de la programmation des grandes institutions, ceux-ci se cantonnent en général au corpus avec piano et aux quatuors à cordes. En-dehors de ceux-ci, le populaire Sextuor n°1 et le Quintette avec clarinette tirent de temps à autres leur épingle du jeu. Pour les quintettes à deux altos et le second sextuor, en revanche, c’est le désert. Les trois oeuvres sont pourtant autant de merveilles de profusion thématique, d’originalité et d’inventivité d’écriture, qui présentent, notamment dans les premiers mouvements des opus 36 et 111, certaines des idées les plus personnelles de Brahms. Le second thème du quintette en sol est peut-être l’épiphanie la plus désarmante de bonté de sa manière automnale — dans ce texte qui devait, dans son esprit, être son dernier mot. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’il est cité en exemple par Charles Rosen (dans une séquence charmante où il le joue au piano) lors de l'une de ses dernières conférences, consacrée au sens du modernisme artistique. Car ce motif concentre la quintessence, comme idée musicale , de ce qui définit la position de Brahms dans l’histoire de la musique : pris à nu, il se présente dans une extrême abstraction, sa composition ne définissant aucun pôle tonal identifiable, comme un pur schème spatial et rythmique, décomposition d’un accord si dissonant qu’il ne crée les conditions d’aucune résolution ; accompagné, il a le charme chaleureux et nostalgique d’une mélodie viennois populaire, et présente un mouvement harmonique d'ensemble d'une incomparable finesse. C’est le pont jeté de Schubert à Schoenberg en une phrase.
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Brahms, Quintette à cordes n°2 en sol majeur, op. 111
Dvořák , Quintette à cordes n°2 en mi bémol majeur, op. 97
Quatuor Pavel Haas
Veronika Jarůšková, violon 1 ; Marek Zwiebel, violon 2 ; Jiří Kabát, alto ; Pavel Nikl, alto ;
Peter Jarůšek, violoncelle
Paris, Théâtre des Abbesses, le 19 janvier 2019
Trop rare quatuor, trop rares quintettes
Tous les grands quatuors en activité sont trop rares sur les scènes de nos contrées, puisque le quatuor en général est excessivement parcimonieux, faute d’avoir son temple parisien, son lieu de référence. Mais certains le sont plus encore que d’autres. Etoile d’une petite constellation de l’excellence absolue qui compte notamment les Borodine, Casals ou Jérusalem, les Pavel Haas ne bénéficient pas, contrairement à ceux-là, de l’exposition de la Biennale de la Philharmonie (pourquoi donc ? Ce sont les mystères de Paris). Ils se contentent donc d’une errance qui n'est pas même biennale entre Louvre, Bouffes du Nord et Théâtre de la Ville. Leur visite à ce dernier était, du reste, l’occasion de vérifier que de tous ces endroits, la petite salle des Abbesses était peut-être la mieux calibrée pour le genre. Fournissant un cadre idéal pour cette merveille de formation, porte-étendard incontestable de la tradition tchèque ; qu’il était du reste délectable de retrouver, avec leur ancien altiste, dans les deux chefs d’œuvre romantiques du quintette à cordes – partitions dont la rareté dans les salles le dispute à la grandeur.Les dernières apparitions des Haas dont nous avons été témoin mettaient à genoux devant une souveraineté totalisante : équilibres et intonation immaculés, autorité extrême de la conception interprétative, en particulier dans un extraordinaire concert Britten-Schubert-Smetana au Louvre (en 2012). La formation paraît plus que jamais au summum de son développement, c’est-à-dire au point d’équilibre idéal entre la maturation collective et la pleine maîtrise instrumentale. Ses derniers enregistrements consacrés à Dvořák, en particulier un opus 106 qui est, peut-être, le plus parfait et bouleversant qui nous ait été donné à ce jour, sont des splendeurs comme le disque n’en offre plus guère. Même les nombreux changements de personnel ne semblent pas affecter la trajectoire d’un quatuor qui semble se bonifier continuellement. L’arrivée d’un quatrième second violon en douze ans (en 2012) a peut-être même été l’événement le plus catalyseur de cette évolution, le jeu de Marek Zwiebel s’imposant comme une sorte d’idéal absolu du rôle, laissant tout l’espace nécessaire à l’expression du gigantesque potentiel expressif de Jarůšková, mais occupant le sien avec un charme en clair obscur de chaque instant, faisant toujours tendre l’oreille vers le dessous de la texture. Le départ en 2016 de l’altiste Pavel Nikl, cofondateur des Haas avec Jarůšková, pouvait inquiéter : mais après une période d’instabilité, son remplaçant, Jiří Kabát, paraît solidement intégré à l’ensemble. Le fait de se tourner au cours de ces dernières saisons vers un répertoire de quintette à deux altos, que les Haas n’avaient pas tant pratiqué jusqu’alors, a sans nul doute contribué à adoucir cette transition et à en assurer un débouché heureux. On ne se méfie jamais assez des apparences relationnelles d’un quatuor, mais l’on aime à se dire, au vu de la complicité qui paraît toujours unir Nikl à ses partenaires de près de vingt ans, que les choix de programmes ont été aussi, en partie, motivés par la difficulté de se séparer trop brutalement. Et par esprit d’escalier pourrait-on ajouter que l’on attend toujours de connaître le Mozart des Pavel Haas, et que commencer par les quintettes serait, peut-être, la plus désirable manière d’y remédier.
Le caractère immanquable d’un tel concert a trait autant à son programme qu’à la qualité de ses protagonistes. Si les cycles chambristes brahmsiens sont devenus (particulièrement ces dernières saisons) un passage obligé de la programmation des grandes institutions, ceux-ci se cantonnent en général au corpus avec piano et aux quatuors à cordes. En-dehors de ceux-ci, le populaire Sextuor n°1 et le Quintette avec clarinette tirent de temps à autres leur épingle du jeu. Pour les quintettes à deux altos et le second sextuor, en revanche, c’est le désert. Les trois oeuvres sont pourtant autant de merveilles de profusion thématique, d’originalité et d’inventivité d’écriture, qui présentent, notamment dans les premiers mouvements des opus 36 et 111, certaines des idées les plus personnelles de Brahms. Le second thème du quintette en sol est peut-être l’épiphanie la plus désarmante de bonté de sa manière automnale — dans ce texte qui devait, dans son esprit, être son dernier mot. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’il est cité en exemple par Charles Rosen (dans une séquence charmante où il le joue au piano) lors de l'une de ses dernières conférences, consacrée au sens du modernisme artistique. Car ce motif concentre la quintessence, comme idée musicale , de ce qui définit la position de Brahms dans l’histoire de la musique : pris à nu, il se présente dans une extrême abstraction, sa composition ne définissant aucun pôle tonal identifiable, comme un pur schème spatial et rythmique, décomposition d’un accord si dissonant qu’il ne crée les conditions d’aucune résolution ; accompagné, il a le charme chaleureux et nostalgique d’une mélodie viennois populaire, et présente un mouvement harmonique d'ensemble d'une incomparable finesse. C’est le pont jeté de Schubert à Schoenberg en une phrase.
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