F. Strobel / Orchestre de Paris – Ciné-concert Chaplin – Philharmonie 9/10/19

With A Smile

Ciné-concert, production de l'European Filmphilharmonic Institute

Choix des images et des extraits musicaux : Fernando Carmena
d'après les partitions reconstruites par Timothy Brock

Arrangements de Timothy Brock et de Stefan Behrisch

Suites et extraits des musiques originales de : The Immigrant, How To Make Movies, A Dog’s Life, The Kid, The Idle Class, Pay Day, A Woman Of Paris,  The Gold Rush, The Circus, City Lights, Modern Times, The Great Dictator, Monsieur Verdoux, Limelight, A King In New York.

Orchestre de Paris
Franck Strobel, direction


Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, le 9 octobre 2019

Le cent-trentième anniversaire du génie polymorphe donnent lieu à des initiatives attendues (rétrospectives, nouvelles restaurations), et à d’autres plus ambitieuses, et bienvenues, comme le cycle que la Philharmonie lui consacre, qui additionne ciné-concerts, conférences et exposition (jusqu’en janvier 2020). La diversité en est très appréciable, même si l’on aurait pu rêver, pour cette occasion, que les moyens à disposition (salles de tous formats, plusieurs orchestres résidents) soient mobilisés pour monter des versions de concert des principaux chefs d’oeuvres pour lesquels Chaplin a composé la musique en en vue du tournage, en plus de l’écriture, de la direction d’acteurs, de la pantomime et de la chorégraphie : c’est-à-dire à partir de City Lights, dont la perfection fait qu’il demeure sans doute le film le plus souvent projeté avec exécution en direct de la partition (et que la Philharmonie avait déjà offert en ciné-concert en 2015, avec l'Orchestre de chambre de Paris sous la direction de Timothy Brock). On se contentera cette année de Modern Times (même équipe) et de cette double soirée de l'Orchestre de Paris en forme hybride, empilement de suites et de compilations thématiques, aux réussites certaines malgré son caractère décousu, et forcément allusif.




Les Temps modernes qui demeure le film le plus populaire de Chaplin (et c’est heureux, tant son contenu social et politique, largement en avance sur la simple satire du taylorisme, apparaît plus prophétique que jamais), est aussi le centre de gravité de ce pot-pourri, dont il inspire le titre, et fournit le matériau de la fin de la première partie, du début et de la fin de la seconde partie de la soirée. Fernando Carmena conçoit son spectacle comme une sorte d’exposition, en tableaux dont la structuration du temps tient lieu de scénographie. Ce sont pourtant bien les premières notes de City Lights, l’irrésistible appel de clarinettes et saxophones (canaille et classe à souhait), et sa suite de danses inaugurale qui ouvrent le spectacle, avant qu’un premier tableau propose une suite des saynètes parmi les plus drôles de la première, ou plutôt de la fin de la première période de Chaplin (1916–1923), en particulier du Cirque et d’Une Vie de chien fasse le bonheur comique de la soirée. La chose va bon train orchestral et condense, en une dizaine de minutes, toute la joie et l’esprit du premier Tramp. Autre très bonne idée, à l’autre bout du programme (dans la suite finale consacrée à Charlot danseur), l’insertion de la rare Idylle aux champs (film de 1919 pour lequel Chaplin composa la musique en… 1976) et de son irrésistible scène des nymphes (pastiche de L’Après-midi d’un faune), qui condense en deux minutes tout le burlesque (mais aussi la poésie) du versant loufoque, non-naturaliste des débuts chapliniens. Nécessairement, les extraits cinématographiques ne sont pas toujours projetés sur la musique des films dont ils sont tirés, ce qui, dans le style de réalisation de cette période, ne pose pas de franche difficulté. Vient ensuite une courte mais blle suite condensant la musique du Kid (qui fait partie de celles composées par Chaplin dans ses vieux jours), sur la projection successive d’instantanés puis d’extraits du film (presque uniquement tirés des confrontations et courses-poursuites avec la police, ce que l’on peut regretter). L’Orchestre de Paris s’y montre à son avantage, dense et concentré, dans une partition qui sied mieux que d’autres (conçues dans les années 30 ou 40) à un effectif généreux de cordes (d’autant que le public habitué aux salles obscures doit compenser la modestie dynamique relative d’une exécution en direct). 

Le quatrième tableau est, pour l’essentiel, une suite visuelle et musicale d’après City Lights, intitulée « Une soirée avec Chaplin ». Elle compose une indéniable réussite sur le plan de la fluidité des enchaînements, comme de la qualité, excellente, d’interprétation, la direction de Strobel parvenant au délicat équilibre entre souplesse et verve populaire. Là aussi, il faut accepter, comme le titre y invite, que ce ne soit pas l’ensemble du matériau narratif et musical du film qui soit synthétisé, mais uniquement un aspect de celui-ci, à savoir la dimension festive et chorégraphique du film. Les grandes scènes de sorties de Charlot avec le millionnaire composent donc l’essentiel du choix visuel, y compris le gag du spaghetti-cotillon (mais pas celui du sifflet), bien synchronisé. Dans cette perspective jouisseuse, il est dommage de ne pas avoir pris deux ou trois minutes de plus pour inclure, notamment, le combat de boxe avec son perpetuum mobile, aussi ludique que valorisant pour un orchestre. Parmi les omissions que l’on peut le plus regretter (mais pas reprocher néanmoins, tant les choix étaient impossibles), il y a précisément ces scènes où la coordination avec un orchestre en direct prennent un sel particulier, du fait des instants de suspension ou de silence chorégraphiques. L’impasse est faite sur la petite valse désarticulée, inoubliable accompagnement de la deuxième scène, devant la vitrine d’antiquaire : le regret est aussi ici de nature proprement musicale, dans la mesure où la valse s’enchaîne naturellement à la version première du thème principal du film, sous sa forme allegro. Cet inoubliable thème de violoncelle, qui reste le plus beau inventé par Chaplin, présente en plus de sa beauté intrinsèque une exceptionnelle plasticité qui en fait le leitmotive cinématographique par excellence, à la fois remodelable et transposable à l’infini (il est joué avec au moins trois tempos et phrasés différents dans le film), et servant d’indicatif permettant la transition ou le lancement aisé de nouvelles scènes. Pour cette raison, il est un peu dommage qu’il n’ait pas été davantage exploité comme élément de liant pour un spectacle de ce genre.
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