V. Gergiev / Mariinsky – Wagner, Parsifal – Philharmonie, 22/9/19

Richard Wagner, Parsifal

Orchestre et Choeur du Théâtre Mariinsky
Valery Gergiev, direction
Mikhaïl Vekua, Parsifal
Yulia Matochkina, Kundry
Yuri Vorobiev, Gurnemanz
Evgeny Nikitin, Klingsor
Alexeï Markov, Amfortas
Gleb Peryazev, Titurel
Anna Denisova, Fille-fleur de Klingsor
Oxana Shilova, Fille-fleur de Klingsor
Kira Loginova, Fille-fleur de Klingsor, Ecuyer
Anastasia Kalagina, Fille-fleur de Klingsor
Angelina Akhmedova, Fille-fleur de Klingsor
Ekaterina Sergeeva, Fille-fleur de Klingsor
Andreï Ilyushnikov, Chevalier du Graal
Yuri Vlasov, Chevalier du Graal
Elena Gorlo, Ecuyer
Oleg Losev, Ecuyer
Andreï Zorin, Ecuyer
Marina Shuklina, Une voix céleste


Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, le 22 septembre 2019

Les deux institutions maîtresses de Saint Pétersbourg voyaient par coïncidence leurs visites parisiennes se chevaucher, chacune proposant deux soirée sur trois jours : il ne nous a donc pas été possible d’entendre la Iolanta du Mariinsky à la Philharmonie, donnée en même temps que le second concert du Philharmonique de Saint Petersbourg

Quant au Parsifal de Gergiev, il ne déméritait pas non plus, loin s’en faut, un an jour pour jour après la clôture à la Philharmonie d’un Ring largement salué. On en retient la confirmation, s’il en fallait encore, de l’excellence atteinte par l’orchestre dans ce répertoire, et l’évolution de la direction de Gergiev qui y semble adossée en partie. Sans révélations majeures, le plateau est d’une grande solidité, mais se révèle problématique dans l’acte II (normalement le point fort d’une grande version de concert « de chef »).  Le caractère individuel des chanteurs surdétermine ici une conception étonnamment conquérante et active du Bühnenweihfestspiel.




Nous avions entendu un Parsifal mariinskyen, déjà donné par Gergiev en version de concert, au printemps 2012, dans le cadre inhospitalier du Barbican de Londres, qui était alors aussi sa résidence de directeur du LSO. Attentif à l’acoustique des lieux, Gergiev avait alors privilégié (ce qui lui va fort bien) une approche quasi chambriste, parfois stupéfiante de douceur et de jeux de miroitement dans le premier acte, et qui n’avait nullement compromis un deuxième acte d’une imparable théâtralité. Gergiev est un homme de théâtre, un des plus grands, mais pas sous n’importe quels rapports. On incline à penser qu’il déploie mieux son sens des transitions, sa ductilité expressive, mélange curieux de puissance rythmique et de liquidité, dans un espace sonore réduit volontairement, ou par nécessité. La Grande Salle Boulez permet à coup sûr de laisser libre cours à presque toute pulsion dynamique. L’orchestre, lui-même, a changé en sept ans, chacun s’accorde sur ce point. Le Mariinsky qui se présente à la Philharmonie depuis trois ou quatre ans, tout particulièrement dans Wagner, n’est pas celui qui a donné les intégrales Prokofiev, Chostakovitch, Tchaikovsky et Mahler à Pleyel. La mue entamée depuis plus longtemps est arrivée, semble-t-il, à une forme de terme. A force de recruter les meilleurs musiciens de Russie pour combler les besoins toujours plus grands de la gigantesque machinerie qu’est maintenant le Mariinsky (deux salles, et la capacité de monter en parallèle quatre ou cinq programmes scéniques ou symphoniques à domicile et en tournée), d’acheter des instruments luxueux, de se confronter à toutes les plus grandes salles du monde dans un répertoire de plus en plus vaste et internationalisé, l’orchestre est devenu une Rolls, pourrait-on dire, comme une autre, d’un confort et d’une fiabilité quasi égaux aux cinq ou six plus prestigieuses phalanges mondiales, et d’un poids comme d’une musculature comparables. Mais en perdant une bonne partie de ce qui le rendait reconnaissable, à savoir des qualités notoirement distinctes de son grand voisin pétersbourgeois, le Philharmonique (de sorte que seul ce dernier paraît relié charnellement à son passé) : un équilibre harmonique haut, des bois piquants à l’acidité pleine de charme, et une forme de souplesse tout à fait singulière, compensant un certain déficit de puissance dans le répertoire postromantique. En définitive, des qualités plutôt propres à l’orchestre de fosse, relevées d’un reste de typicité russe. Il ne reste pas grand chose de cela, du moins quand le Mariinsky se présente sur scène, qui plus est dans une salle conçue pour le grand spectacle. Grand spectacle qu’il assure, certes, et sans faute de goût : Pétersbourg est riche à présent, mais pas nouveau riche.

Rappeler ces conditions mouvantes de réalisation instrumentalé importe pour comprendre l’esthétique générale de ce Parsifal, et sa divergence d’avec ce que Gergiev avait pu montrer à l’époque de son enregistrement 2010). Le renouvellement presque complet du plateau est évidemment un autre facteur déterminant. A l’exception du Gurnemanz désormais bien rodé de Youri Vorobiev, il ne reste aucun protagoniste de la tournée de concerts de 2011–2012 (ni, bien sûr, de l’enregistrement, qui s’était fait sans le concours de la troupe vocale du Mariinsky). Une modification fondamentale du caractère de cette interprétation réside dans les prises de rôle (ou quasi) des Parsifal et Kundry pétersbourgeois. Mikhaïl Vekua, Siegmund puis Siegfried atypique mais à sa façon convaincant du récent Ring, s’approprie la version proprement Heldentenor du rôle : il en la puissance et l’endurance comme peu d’autres, mais aussi une coloration dramatique qui tire non seulement le chaste et fol vers une virilité aguerrie, mais aussi vers une certaine ambiguïté morale. Son charisme de timbre correspondant à celui de sa physionomie, et ce ne sont ceux ni d’un jouvenceau, ni d’un prince charmant : il faut bien le dire, ce sont plutôt ceux d’un traître ou d’un tueur. Il est vrai que Parsifal, à l’occasion, occis, ou sinon, frappe et blesse. Le cygne, d’abord, les chevaliers lubriques ensuite, Klingsor, peut-être. Et la dimension guerrière du personnage n’est pas, au fond, mineure. Elle est ici survalorisée, ce qu’on peut goûter plus ou moins, mais qui s’intègre indéniablement dans une esthétique, ou plutôt une économie générale de la conduite du drame, où le processus rédempteur est largement habité par la violence, et par un esprit de conquête révélant la dimension proprement catholique – et en cela impériale et militaire – du mythe.

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