Quatuor Dover - Mozart, Ullmann, Beethoven - Quatuor Borodine - Chostakovitch, Beethoven, Borodine - Philharmonie, 15-17/1/20
(a) Quatuor Borodine, le 15 janvier 2020
Chostakovitch, Quatuor à cordes n°6, op. 101
Beethoven, Quatuor à cordes n°1 en fa majeur, opus 18/1
Borodine, Quatuor à cordes n°2 en ré majeur
Quatuor Borodine : Ruben Aharonian, violon 1 ; Sergueï Lomovsky, violon 2 ; Igor Naidin, alto ; Vladimir Balshin, violoncelle
(b) Quatuor Dover, le 17 janvier 2020
Mozart, Adagio et fugue en ut mineur; KV. 546
Ullmann, Quatuor à cordes n°3, op. 46
Beethoven, Quatuor à cordes n°11 en fa mineur, op. 95
Quatuor Dover : Joel Link, violon 1 ; Bryan Lee, violon 2 ; Che-Hung Chen, alto ; Camden Shaw, violoncelle
Notre découverte du Dover Quartet remonte à mars 2012, lorsqu’ils étaient en lice au concours international de Londres, échouant aux portes de la finale malgré un très abouti et puissant quatuor en la mineur de Beethoven. Parmi la douzaine de jeunes quatuors qui y étaient en lice, ils paraissaient les plus prometteurs, aux côtés notamment des Meccore et des Tesla. Un an plus tard, ils étaient consacrés par le premier prix du Banff, avec notamment un exemplaire quatuor en la mineur, cette fois de Brahms, que l’on peut toujours visionner aujourd’hui. Ce qui séduisait de prime abord chez cette formation, issue du Curtis Institute, était une dimension orchestrale non fondée sur la seule émulation d’intensité, mais sur un véritable travail sur le son à l’état fondamental, sur le grain, et à partir de là, sur l’accent des oeuvres. La personnalité du primarius Joel Link, violoniste puissant et félin, au tempérament de soliste bien affirmé, mais sans la dimension individualiste propre à fragiliser l’économie générale d’un quatuor : son engagement très sûr techniquement vise toujours à une la rectitude de phrasé, et à une simplicité de bon aloi, se transmettant à ses partenaires. Comme la plupart des quatuors américains, surtout de moins de quarante ans, les Dover jouent fort, mais ne font pas, ou moins que d’autres, partie de ceux qui peuvent vous donner mal à la tête au bout d’une demi-heure (ou de cinq minutes).
Le classicisme leur convient bien, car il y font valoir une robustesse sans surinvestissement du matériau : la dimension rythmique y est flattée de la meilleure façon, pour la carrure et non pour les saccades. Sans chercher vraiment à développer un jeu mixte, à la croisée des traditions romantiques et baroques (comme y excellent les Chiaroscuro ou les Casals), leur Mozart conserve un dramatisme conventionnel, produit de sa postérité, tout en étant remarquablement aéré polyphoniquement, et rigoureux dans le minimalisme du vibrato. Dans l’Adagio et fugue, dont la popularité tant chez les quatuors que chez les orchestres semble avoir décru ces dernières décennies, le compromis est convaincant et n’a rien d’une mollesse. Les Dover trouvent immédiatement la franchise de ton et de sonorité propres à imposer un climat fort, et à assurer la cohérence du diptyque. Vitaminés sans hystérie, leurs archets se distinguent surtout par une rudesse presque primitive, tout à fait recevable dans la mesure où l’intonation est sans reproche, et surtout, le cadre rythmique d’une grande force. La dimension académique, et, précisément, primitive de l’œuvre, qu’il s’agisse du profil motivique de la fugue ou de ses chromatismes, y prend une valeur positive. Bien que privé de son altiste habituelle (dont le remplaçant ne détonne en rien), les Dover démontrent ici une de leurs qualités maîtresses : la domination des textes par une approche fondée sur une énergie structurée autour de choix simples et lisibles. Il n’y a pas de place pour l’extravagance, ni, pourrait-on dire, pour une recherche vraiment personnelle. Mais il est encore un peu tôt pour savoir si une dimension plus singulière ne pourrait faire sortir cette formation du lot, si concurrentiel, des jeunes quatuors américains.
Dans l’écriture foisonnante (encore qu’on soit loin de Haas ou de Zemlinsky) du postromantisme le plus tardif, on voit mieux la marge de progression qu’ont des musiciens aussi fiables instrumentalement. Si le 3e d’Ullmann est une page que l’on est ravi d’entendre jouée à ce niveau (et que les Dover ont enregistré, aux côtés notamment du plus rare encore, et remarquable Simon Laks), on peut néanmoins trouver que l’interprétation ne parvient pas entièrement à l’installer dans l’intimité élégiaque qui convient non seulement à son matériau, mais sans doute à sa forme cyclique et close. Il n’est pas fait abus d’expressionnisme ici, mais fait défaut la demi-teinte, et au fond la dimension de détente si peu accessible, et pourtant nécessaire dans ce répertoire – celle-là même dont on vantait le prix cette année au sujet du Quatuor Arod. Instaurer la dimension de lointains, de quant à soi, n’est pas évident dans l’amphithéâtre de la Cité, on l’a vérifié de nombreuses fois (y compris avec les Arod, d’ailleurs, qui cependant s’en dépêtraient mieux, précisément dans le 2e de Zemlinsky). Il demeure que cette partition poignante gagnerait à être entendue plus souvent, car son idée récurrente (simple balancement harmonique déterminant efficacement le climat dans lequel se déploie la toile motivique) a la force de simplicité qui peut ancrer l'aura d'une œuvre dans le répertoire.
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Chostakovitch, Quatuor à cordes n°6, op. 101
Beethoven, Quatuor à cordes n°1 en fa majeur, opus 18/1
Borodine, Quatuor à cordes n°2 en ré majeur
Quatuor Borodine : Ruben Aharonian, violon 1 ; Sergueï Lomovsky, violon 2 ; Igor Naidin, alto ; Vladimir Balshin, violoncelle
(b) Quatuor Dover, le 17 janvier 2020
Mozart, Adagio et fugue en ut mineur; KV. 546
Ullmann, Quatuor à cordes n°3, op. 46
Beethoven, Quatuor à cordes n°11 en fa mineur, op. 95
Quatuor Dover : Joel Link, violon 1 ; Bryan Lee, violon 2 ; Che-Hung Chen, alto ; Camden Shaw, violoncelle
Philharmonie de Paris, Salle des concerts, le 15 janvier 2020 (a), Amphithéâtre, le 17 janvier 2020 (b)
Notre écoute de la 8e Biennale des Quatuors à cordes
a été tronquée par les difficultés de transports franciliens à cette
période, empêchant notamment l’audition de concerts particulièrement
attendus (et qui, semble-t-il, ont tenu toutes leurs promesses), comme
ceux des Jerusalem et des Casals (dont le Beethoven, inoubliable à la
précédente Biennale, paraît continuer de se bonifier alors que
s’enregistre sans doute l’intégrale majeure de cette génération). Pas de
tour d’horizon, donc, d’instantané de la diversité de l’art
quartettiste cette année, mais une simple mise en regard : celle d’un
monument historique du quatuor européen, et d’une des plus prometteuses
formations américaines.
Notre découverte du Dover Quartet remonte à mars 2012, lorsqu’ils étaient en lice au concours international de Londres, échouant aux portes de la finale malgré un très abouti et puissant quatuor en la mineur de Beethoven. Parmi la douzaine de jeunes quatuors qui y étaient en lice, ils paraissaient les plus prometteurs, aux côtés notamment des Meccore et des Tesla. Un an plus tard, ils étaient consacrés par le premier prix du Banff, avec notamment un exemplaire quatuor en la mineur, cette fois de Brahms, que l’on peut toujours visionner aujourd’hui. Ce qui séduisait de prime abord chez cette formation, issue du Curtis Institute, était une dimension orchestrale non fondée sur la seule émulation d’intensité, mais sur un véritable travail sur le son à l’état fondamental, sur le grain, et à partir de là, sur l’accent des oeuvres. La personnalité du primarius Joel Link, violoniste puissant et félin, au tempérament de soliste bien affirmé, mais sans la dimension individualiste propre à fragiliser l’économie générale d’un quatuor : son engagement très sûr techniquement vise toujours à une la rectitude de phrasé, et à une simplicité de bon aloi, se transmettant à ses partenaires. Comme la plupart des quatuors américains, surtout de moins de quarante ans, les Dover jouent fort, mais ne font pas, ou moins que d’autres, partie de ceux qui peuvent vous donner mal à la tête au bout d’une demi-heure (ou de cinq minutes).
Le classicisme leur convient bien, car il y font valoir une robustesse sans surinvestissement du matériau : la dimension rythmique y est flattée de la meilleure façon, pour la carrure et non pour les saccades. Sans chercher vraiment à développer un jeu mixte, à la croisée des traditions romantiques et baroques (comme y excellent les Chiaroscuro ou les Casals), leur Mozart conserve un dramatisme conventionnel, produit de sa postérité, tout en étant remarquablement aéré polyphoniquement, et rigoureux dans le minimalisme du vibrato. Dans l’Adagio et fugue, dont la popularité tant chez les quatuors que chez les orchestres semble avoir décru ces dernières décennies, le compromis est convaincant et n’a rien d’une mollesse. Les Dover trouvent immédiatement la franchise de ton et de sonorité propres à imposer un climat fort, et à assurer la cohérence du diptyque. Vitaminés sans hystérie, leurs archets se distinguent surtout par une rudesse presque primitive, tout à fait recevable dans la mesure où l’intonation est sans reproche, et surtout, le cadre rythmique d’une grande force. La dimension académique, et, précisément, primitive de l’œuvre, qu’il s’agisse du profil motivique de la fugue ou de ses chromatismes, y prend une valeur positive. Bien que privé de son altiste habituelle (dont le remplaçant ne détonne en rien), les Dover démontrent ici une de leurs qualités maîtresses : la domination des textes par une approche fondée sur une énergie structurée autour de choix simples et lisibles. Il n’y a pas de place pour l’extravagance, ni, pourrait-on dire, pour une recherche vraiment personnelle. Mais il est encore un peu tôt pour savoir si une dimension plus singulière ne pourrait faire sortir cette formation du lot, si concurrentiel, des jeunes quatuors américains.
Dans l’écriture foisonnante (encore qu’on soit loin de Haas ou de Zemlinsky) du postromantisme le plus tardif, on voit mieux la marge de progression qu’ont des musiciens aussi fiables instrumentalement. Si le 3e d’Ullmann est une page que l’on est ravi d’entendre jouée à ce niveau (et que les Dover ont enregistré, aux côtés notamment du plus rare encore, et remarquable Simon Laks), on peut néanmoins trouver que l’interprétation ne parvient pas entièrement à l’installer dans l’intimité élégiaque qui convient non seulement à son matériau, mais sans doute à sa forme cyclique et close. Il n’est pas fait abus d’expressionnisme ici, mais fait défaut la demi-teinte, et au fond la dimension de détente si peu accessible, et pourtant nécessaire dans ce répertoire – celle-là même dont on vantait le prix cette année au sujet du Quatuor Arod. Instaurer la dimension de lointains, de quant à soi, n’est pas évident dans l’amphithéâtre de la Cité, on l’a vérifié de nombreuses fois (y compris avec les Arod, d’ailleurs, qui cependant s’en dépêtraient mieux, précisément dans le 2e de Zemlinsky). Il demeure que cette partition poignante gagnerait à être entendue plus souvent, car son idée récurrente (simple balancement harmonique déterminant efficacement le climat dans lequel se déploie la toile motivique) a la force de simplicité qui peut ancrer l'aura d'une œuvre dans le répertoire.
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