Ravel, Le Tombeau de Couperin
Beethoven, Symphonie n°7 en la majeur, op. 92
Orchestre de Paris
Klaus Mäkelä, direction
Le monde à inventer de Klaus Mäkelä
Quelques jours après l’annonce de sa désignation comme futur directeur de l’Orchestre de Paris (à la rentrée 2022, après deux années de transition durant lesquelles il officiera comme conseiller musical), Klaus Mäkelä avait les honneurs d’un concert ajouté pour déconfiner symboliquement une Philharmonie recluse depuis mars. Tout, bien sûr, devait y être soumis au contexte sanitaire : jauge réduite, disposition orchestrale adaptée, programme d’une heure et d’un seul tenant, plus ou moins à l’image de ce qui s’est pratiqué ces dernières semaines en Autriche et en Allemagne. L’événement, plaisant en lui-même, permet de vérifier le talent déjà bien établi du chef de vingt-quatre ans, et que sa future phalange ne paraît pas souffrir du manque d’activité. Il restera surtout l’un des points de départ de nouvelles ères, pour l’orchestre, son lieu de résidence, et pour notre vie musicale en général : perspectives à l’aune desquelles les responsabilités pesant sur Klaus Mäkelä sont lourdes. Que penser, d’ailleurs, de ce pari de la jeunesse, tendance de plus en plus affirmée des grandes institutions ?
Quelques concerts filmés récemment – pas dans un petit répertoire – ont presque suffi à établir la réputation de Mäkelä sur la scène internationale. Ses passages sur les podiums parisiens (de l’OP la saison passée, à Radio-France juste avant le confinement) ont également convaincu bien des mélomanes, et surtout les musiciens résidents de la Philharmonie qu’ils tenaient leur prodige finlandais à eux (puisqu’il est presque de bon ton d’avoir le sien : mais on reviendra sur cet aspect). Si le répertoire de prédilection du prodige n’est pas encore bien défini, ses points forts paraissent d’autant plus évidents qu’ils une portée générale. Ils tiennent, au fond, en un mot : le calme. C’est ce qui frappe chez lui, comme chef de vingt-quatre ans, mais au fond comme interprète tout court. Si son apparence physique est à l’exacte opposée de Mikko Franck, son aîné de quinze ans formé aux mêmes classes, l’Orchestre de Paris et le Philharmonique de Radio-France auront en commun d’avoir des directeurs musicaux flegmatiques, ressentant profondément la nécessité de ne pas être conduits par l’orchestre, et de ne surtout pas produire un spectacle ornemental d’illustration des sons. On pourrait arrêter ici la comparaison, car il est vraisemblable que le rapport au discours, au son et au rythme des deux chefs soient extrêmement différents. Ils laissent néanmoins voir une quête commune assez évidente dans le répertoire romantique, celle d'un discours se construisant sans effets ni didactisme, et surtout d’une plénitude de respiration de la scène sonore, la conception claire d’un son profond, mais pas lourd.
De ce point de vue, celui qui dirige l’orchestre résident de la Philharmonie part avec une bonne longueur d’avance sur celui installé à la Maison de la Radio. Pas tant du fait des aptitudes très comparables des deux formations, mais de celui des possibilités acoustiques. Et c’est sans doute un des chantiers les plus excitants des années à venir. Si Paavo Järvi, durant la transition Pleyel-Philharmonie, avait eu le grand mérite de reconstituer un outil fiable et motivé à partir de ruines, et Daniel Harding celui de maintenir, aux côtés des invités réguliers, une exigence technique idoine, et que les deux ont contribué à élargir le répertoire, l’OP rénové attend désormais le directeur musical qui saura imprimer une véritable signature sonore et stylistique, autant que possible en phase avec les multiples possibilités ouvertes par son bel outil de travail. Et pour cela, Mäkelä pourrait bien avoir été le bon choix, car si le travail de modelage d'un son d'orchestre en lien avec les propriétés d'une salle sont normalement l'apanage des chefs expérimentés, la première des conditions est de démontrer un intérêt pour la question.
La relative neutralité de caractérisation est certainement plus dommageable dans le Tombeau de Couperin, où se cumulent les exigences de pièce dans le style ancien et celles d’une signature d’orchestration ravélienne. Mais on voit cependant quelles qualités cette direction aspire à déployer : au travers de la retenue gestuelle, c’est la décontraction des musiciens qu’elle vise, et il est clair que dans la suite du Tombeau, cette composante est essentielle pour faire jaillir la lumière et le scorrevole naturels de la partition, et surtout du prélude. Mais l’œuvre a aussi besoin de rebond rythmique pour ne pas être que glissement, et de ce point de vue, le peu d’interventionnisme de cette direction ne va pas sans une légère mollesse, qu’une très grande clarté ne compense pas tout à fait. La petite harmonie offre dans le prélude une prestation à cette image, propre et sage. La forlane pousse plus loin la logique d’une élégance débonnaire, en étant vraiment prise allegretto (ce qui est assez rare, et à l’orchestre du moins tend à annuler le caractère folklorique). Là encore, le soin et la précision apportés à l’accent et aux textures sont appréciables, mais exclusifs d’un ton plus spirituel, et de toute alacrité. Les deux derniers mouvements sont plus fermement tenus, une grande réussite étant le déploiement d’une arche expressive de long terme dans le menuet, qui va de loin à loin.