V / ∏
- Dalbavie, Variations Orchestrales sur une Oeuvre de Janáček - Beethoven, Concerto pour Piano n°1 en ut majeur, op. 15 - Schubert, Symphonie n°9 en ut majeur, D. 944
- Stephen Kovacevich, piano
- Orchestre de Paris
- David Zinman, direction
Ce qui m'a semblé le plus important dans la création française des Variations Orchestrales de Marc-André Dalbavie, c'est sa dédicace (à Henri Dutilleux). Avant d'y revenir, je tiens à dire que j'aime beaucoup l'idée, la forme et l'esprit choisis pour cette œuvre : j'ai le sentiment que, face aux abîmes d'interrogations jamais résolues quant à la signification, la place de la forme musicale de nos jours (en particulier s'agissant de la symphonie et de ses dérivés), la variation comme exercice aussi contraint que libre joue un rôle sinon canalisateur, du moins de soupape créatrice. En particulier en ce qu'elle a le mérite d'assigner une fonction identifiable au thème ou au motif. Ces avantages de l'exercice ne sont pas démentis pas la tentative de Dalbavie, qui avec un savoir-faire certain exhibe la quatrième pièce de Dans les Brumes sous diverses coutures en variant autant que possible climats, orchestrations et dynamiques. Le problème, cause du relatif ennui provoqué par cette écoute, est d'une autre nature. A l'image du concert récent à Pleyel consacré aux créations de Mantovani, Joneleit et Staud, et malgré l'usage d'un langage encore un cran en-dessous en terme d'exigence savante (ce n'est pas une critique ici), cette musique paraît bien gentille, inoffensive.
Mais pour la raison inverse, quitte à paraître schizophrène : là où notamment Mantovani encadrait sa virtuosité d'écriture d'un écrin furieusement impersonnel (ce brio et ce son mondialisés), Dalbavie propose les divers versants d'une sorte de grand cliché académique de la sensibilité française. Sa partition est post-ravélienne en diable et cela ne se fait pas sans complaisance. Non que ces variations cherchent l'émotion facile, mais cette façon de revendiquer une signature esthétique, pour louable qu'elle soit, me semble bien académiste à l'écoute, et la dédicace sonne alors, a posteriori, davantage comme un rendu de devoir à un éminent professeur qu'il convient de contenter, plutôt qu'un hommage personnel à un maître. Trop humble, en quelque sorte : une interprétation possible parmi d'autres, toujours plus bienveillante que "auto-satisfait", qui serait permise aussi après tout...
La dernière fois que j'écoutais Stephen Kovacevich, c'était à l'avant-dernière édition de La Roque, dans un récital Bach-Schumann puis Beethoven, dont la première partie avait été un naufrage difficilement croyable. Le vieux lion avait sauvé l'honneur dans des Diabelli savonnées au possible, mais non dénuées de tension, d'orgueil, d'enjeux. Il faut accepter une part d'aléatoire plus qu'importante dans les apparitions de ce pianiste attachant qui a dû surmonté de fâcheux ennuis de santé, dont l'impact sur son jeu (la force et le contrôle de la main gauche notamment) ont été importants. De l'aléatoire, y compris au sein d'une même prestation. Celle-ci a été relativement homogène, et marquée plutôt parce ce qui rend Kovacevich sympathique : son volontarisme à l'ancienne, sans souci de provoquer l'illusion d'une domination du clavier qu'il ne possède plus. Dans le discours, il en ressort des aspects plus ou moins convaincants dès lors que l'on fait abstraction ou pas du désir d'entendre ici un Beethoven mozartien, altier sans foucades ni effets de manche : concrètement, cela signifie sans accents et avec une intensité de jeu circonscrite à des dynamiques minimales. On en est loin ici, et Kovacevich propose même l'exact opposé. Une lecture contrastée et intempestive du premier mouvement, une grosse croix étant fait tant sur la propreté que sur le legato, et la conduite se montrant hachée, épisodique. Ceci étant, elle n'est pas inexistante, et tout cela n'est pas dénué d'un engagement sincère - débordant parfois, poussant le pianiste à pousser de spectaculaires mugissements comme à l'occasion du glissando précédant la réexposition.
Cela ne peut faire oublier le manque d'aisance, de vocalité du thème lyrique, de rebond du troisième thème, de pulsation naturelle dans les gammes ; Zinman, beethovenien réputé dans le genre allégé, se contente d'assurer une direction anonyme de l'OP, qui distille ici un ennui parfaitement ordinaire. Bref, il ne passe pas grand'chose, surtout quand la dernière audition de ce concerto à Paris a été offerte par un couple Barenboim/Sk. Berlin des très grands soirs, il y a moins d'un an... Le second mouvement s'accommode un peu mieux de cette prise à la bras le corps assez primaire de la partition, du fait de sa forme cumulatrice. Forcé et manquant de légéreté, le rondo pêche tant dans la logique d'avancée que dans l'énergie, qui tolère bien mal d'être systématiquement relancée au forceps. Malgré la dimension incontestable de sincérité, un orchestre médiocre et un piano aussi imparfait ne peuvent émouvoir dans ce concerto qui est la lumière et la puissance de l'évidence incarnés. Le courage et l'humilité sont mal adaptés à certaines formes du génie - nul doute que Kovacevich aurait été un peu plus convaincant dans les deux autres concertos impairs.
Il y avait de quoi craindre la catastrophe dans la Grande, même si l'on sait bien que les prestations orchestrales sont rarement plus mauvaises dans la symphonie qui suit un concerto de routine. Mais c'est la Grande, avec ses répétitions exténuantes pour les cordes - même en supprimant absolument toutes les reprises comme Zinman - ses contrechants infinis aux bois, ses phrases allongées sur des dizaines de mesures, son immense geste unitaire... cette symphonie, eh oui, qui tournait lamentablement à vide sous la baguette d'Eschenbach voici deux ans. Eh bien, Zinman s'en sort à peu près aussi bien que possible, d'une manière assez comparable à celle de Dohnanyi dans l'Héroïque il y a deux mois. Avant toute chose, le sens de la forme impressionne, en particulier dans les deux premiers mouvements, qui sur le plan de l'articulation thématique sont à peu près sans reproches. Les transitions, à commencer par celle, si difficile, vers l'allegro du I, sont très bien menées, malgré ici l'incapacité des bois à crier leurs appogiatures répétées - mais il n'y a pas qu'avec l'Orchestre de Paris que cela pose problème. La prestation des bois dans ce même mouvement est assez étonnante de verdeur, même si les timbres n'ont aucun charme. Mais il vaut mieux cela que le vide dynamique et expressif dont ces pupitres avaient fait montre dans Beethoven. Les solos de cor sont assez réussisL. es plans sont bien gérés, les intonations de cordes maîtrisés même cela manque fréquemment de profondeur de registre comme de respiration : au moins n'entend on pas de soufflets à répétition. Surtout, Zinman étage avec intelligence les dynamiques de manière à créer une échelle adaptée qui tienne compte des facultés de l'orchestre : il sait partir d'assez bas pour que le crescendo aille à son terme sans que cela ne sature la lisibilité. Bref, on fait avec les moyens du bord, mais on le fait du mieux possible, un peu à l'image du Chopin de Tiberghien dont je parlais l'autre jour. Pour les grands frissons, on repassera, mais c'est de la bel ouvrage, où cette fois la modestie au service de la grandeur semble mieux trouver son emploi.
Ces remarques valent autant sinon davantage pour l'andante, pris dans un tempo idéal, et où les chorals sont fort bien conduits, avec équilibre harmonique et sans phrasés aléatoires aux violons - y compris dans la réexposition du premier thème, où Zinman obtient une étonnante cohésion, presque distinguée de la part des premiers violons. Le climax est bien articulé à défaut de faire peur, les violoncelles à nu presque convaincants dans leur simplicité à sa sortie. En revanche, le scherzo sera nettement plus problématique, les bois se montrant ici insuffisants en engagement et en précision : ce n'est pas le naufrage auquel on assiste régulièrement avec l'OP, mais même sans reprises, le mouvement semble ici se trainer. En regard de ce mouvement, le finale est honorable, en tout cas du point de vue, essentiel, de la discipline et de l'endurance des cordes : mais les bois comme d'ailleurs, par exemple, les trombones, sont bien trop gentillets. La tension architecturale fait toutefois plus défaut que dans les deux premiers mouvements, ce qui est logique dans la mesure où celle-ci dépend ici davantage de la virtuosité et de la réserve intrinsèque de puissance de l'orchestre que du sens forme du chef - symboliquement d'ailleurs, le dernier accord, anecdotique, semble ne pas savoir choisir entre l'option héroïque et l'extinction inquiétante parfois choisie comme interprétation de l'énigmatique indication (accent ou decrescendo : c'est bien de poser la question, mais c'est le rôle des interprètes de la trancher !). Mais pour en rester à ce qu'a montré David Zinman, qui était à peu près le dernier chef d'importance que je n'avais pas encore écouté en concert, cette seconde partie donnait plutôt envie de le réentendre avec une grande formation internationale - d'ailleurs, la Tonhalle Zürich n'est-elle pas fort rare à Paris ?
Théo Bélaud
le petit concertorialiste by Théo Bélaud est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage des Conditions Initiales à l'Identique 2.0 France.