Культура

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- Paris, Salle Pleyel, le 5 décembre 2010
- Prokofiev, Pierre et le Loup (a) - Tchaikovsky, extraits de La Belle au Bois Dormant

- Paris, Salle Pleyel, le 6 décembre 2010
- ...fragments de Beethoven (b) et Prokofiev (c)
- Marie-Christine Barrault (a), Mikhail Filipov (b et c) et Polina Kutepova (c), récitants
- Orchestre Symphonique Tchaikovsky
- Vladimir Fedoseyev, direction
Soirées notoirement difficiles à commenter, franchement impossibles à évaluer d'un point de vue artistique, car tout s'y est confondu, télescopé pour former une sorte d'OC(oncertant)NI. Ce pourrait être plus simple : il suffirait que le niveau d'exécution des programmes ait été médiocre, et tout serait plus simple. L'ennui était qu'il était tout, sauf médiocre. A la rigueur, on pourrait ergoter sur le caractère un peu caricaturalement mère-grand ne s'en laissant pas conter (c'est le cas de le dire) de Marie-Christine Barrault dans Pierre et le Loup. Mais ce n'est pas très important, et on ne saurait remettre en cause la sincérité de sa prestation de récitante. De la même manière, je ne me risquerai pas à la moindre critique sur les deux récitants russes du second "concert", sinon pour dire que leurs voix étaient extrêmement agréables et surtout que la musicalité de la langue russe est extraordinaire, ce qui n'est pas une grande découverte. Dans l'ordre des scoops, je suis aussi en mesure de dévoiler que Tolstoï était un très grand écrivain. Quant à l'Orchestre Symphonique Tchaikovsky de Fedoseyev, que j'avais découvert il y a deux saisons dans une (trop) belle Manfred, il n'a nullement déçu là où on pouvait l'attendre : extrême finesse, transparence, aisance et élégance des timbres et des intonations. Et ce, de surcroît, sans que leur chef n'ait posé de problème particulier de continuité formelle, contrairement à la dernière prestation parisienne. Il se murmure même, du reste, que les musiciens auraient bien aimé jouer plus de musique, ce qui les rend toute de suite sympathiques...
Certes, les deux concerts n'étaient pas à mettre strictement sur le même plan, loin s'en faut même. Le dimanche après-midi, le concert est manifestement déterminé par le prévisible afflux d'une foule de bambins dont la tenue aura d'ailleurs été relativement surprenante, compte-tenu de ce que j'ai déjà pu constater (plutôt au TCE). Non pas qu'ils furent figés et muets comme des tombes, mais la différence avec un concert ordinaire ayant été nulle, cela prouve au moins que dans les grandes salles de concerts les adultes ne sont guère plus murs et éduqués que des enfants de huit ans en moyenne. Pour ceux-là, Fedoseyev aura donc concocté, de La Belle au Bois Dormant, une sorte de suite synthétique de l'opus 66a et de la suite "maritale" de Diaghilev, tenant sur une demi-heure tout au plus, ce qui occasionnera l'ire de quelques adultes (entendez de vieux garçons) qui espéraient une seconde partie (ou une généreuse série de bis) plus consistante. Mais c'était déjà largement l'heure du goûter. Soit, jusque là, je ne conteste rien. S'il y a bien une chose sur laquelle je ne vois aucun intérêt à aller chercher des noises aux musiciens, c'est sur le fait de donner des concerts de trois heures ou de trois quarts d'heure. Ce qui fut sans doute l'une des deux ou trois plus exceptionnelles parties de concert données à Paris cette décennie durait à peine plus de vingt minutes, sans bis (c'était le 19 décembre 2008, dans cette même salle).

Du reste, difficile de contester l'excellence musicale de ce premier concert, en particulier s'agissant de l'état de forme du quintette du Symphonique Tchaikovsky. Les thèmes de Pierre sont d'une distinction admirable, et comme augmentés d'une rondeur étonnante (un effectif de cordes invarié pour le conte et le ballet, soit un bon soixante) : pour qui a été habitué au disque de Rodjestsvensky et Gérard Philippe, cela pouvait donner une impression de luxe superfétatoire (limite capitaliste, si vous saisissez l'idée), ce qui est assez surprenant de la part d'un orchestre qui est le lointain héritier de la phalange abrupte et émaciée de... Rodjestsvensky. Et on aura découvert un violoncelle solo qui, du haut de son âge certain, aurait bien des leçons techniques et musicales à donner à beaucoup de nouveaux pseudo-virtuoses de l'instrument : quelle classe et quelle justesse dans le pas d'action d'Aurore et Désiré ! Remarque presque valable pour tout son pupitre, à la suite de son solo. Ceci étant dit, on retrouve aussi cet orchestre à l'aisance un brin suffisante, qui propose certes une dimension de décontraction qui est incontestablement une plus-value musicale par rapport à d'autres, mais chez qui le feu sacré est loin d'être une évidence : dans un genre "nouveau mosocovite" assez similaire, synthétique du "vrai" son russe des orchestres petersbourgeois et des esthétiques occidentales, le National de Russie me semble capable de plus de caractère et de concentration (et je ne peux qu'inciter ceux qui ne voudront ou ne pourront se rendre au concert de Jansons au TCE samedi prochain à aller le vérifier à Pleyel, avec Pletnev : il y a peu de chances qu'ils le regrettent). Pour agréable et idiomatique qu'était ce Tchaikovsky là, on était tout de même à des années-lumière de l'hallucinant Lac des Cygnes de Temirkanov l'an passé.

Il aurait fallu une Héroïque complète pour en avoir le cœur plus net, mais c'est ici que ce qui ressemblait à du concert s'arrête, et que commence la partie culturelle. Car ça y est, le Mur est bien tombé, et cette sinistre invention de l'Occident post-primo-industriel qu'est la culture est arrivée en Russie. Ainsi que nous faisons des récitals Chopin avec lecture de la mère Georges, ou biosoap-concerts desperate houschumann, nos moscovites in modo culturale choisissent de nous faire le coup de la parabole historico-réflexive (c'est le côté sympathique, par son charme suranné, de la chose : un(e) geste historique de pures représentations, parfaitement démodé chez nous, depuis que l'on a inventé... l'histoire culturelle, malheur). Il s'agit donc de Guerre et Paix, de 1805 (la symphonie) à 1812 (l'ouverture), traversé par les extraits du roman de Tolstoï et par des bribes de Prokofiev. Après lecture de la réflexion sur Napoléon et le pouvoir d'un seul homme (granitique mais hélas amplifié Mikhail Filipov), vlan : l'accord de mi bémol et ce qui s'ensuit, enfin ce qui s'ensuit avant la marche funèbre, le tout étant expédié au pas de course (pourquoi pas) et sans reprise (à la rigueur, mais quand il y a déjà si peu de musique au programme, cela commence à faire cette fois très chiche). La prestation instrumentale est de qualité, tant pour la discipline que pour les timbres : il semble toutefois que les bois de cet orchestre n'accordent là pas autant d'importance que dans Tchaikovsky à l'intensité de leur jeu, ce qui est dommage et frustrant, au même titre que la proverbiale discrétion des cors - pourtant excellents - de cet orchestre. S'ensuivent de longs monologues de Koutouzov parfois brièvement interrompus ou plutôt accompagnés par, ici un choral, là un début de valse ou mazurka de Guerre et Paix (l'opéra) : après Beethoven, la bascule a au moins le mérite de pencher clairement d'un côté, celui de la lecture musicalement illustrée, ce qui peut être perçu comme moins horripilant que le concert à décorum littéraire, j'en conviens.

Après un entracte dont la fonction m'a échappé (sinon que l'on changeait de tome du roman), tout se déroule dans cette continuité jusqu'à 1812. Cette fois, la ravissante - tant par la plastique que par la voix - Polina Kutepova vient prêter main forte à Filipov pour l'épisode d'André et Natacha (enfin, je crois, au bout d'un moment j'ai cessé de lire le surtitrage pour tenter de compenser l'absence de musique par la musicalité de la langue). C'est encore très beau, et encore bien trop amplifié. Puis viens donc une 1812 passablement rutilante, un peu trop civilisée à n'en pas douter, mais comment et pourquoi en aurait-il été autrement dans ce contexte ? Ainsi que me le faisait remarquer avec son sens inné de la dérision Thomas Rigail, la soirée culturelle était de toute façon ratée, puisque les canons n'avaient même pas été prévus (quand Temirkanov clôt une soirée de gala à Petersbourg avec 1812, au moins, on tire les canons, et on ne le fait pas à moitié). Ceci mis à part, il y a eu de beaux moments de musique, en bis à la culture : la valse espagnole du Lac des Cygnes, et surtout un magnifique Ballet des Sylphes de la Damnation de Faust. Lundi, 22h, il était temps que le concert commence. Pour le coup, à dix petites minutes, je commencerais presque à me plaindre, bien que n'ayant acheté cette place que pour dix euros, en mai, le matin de l'ouverture des réservations. Logique, à ce moment-là, il était prévu, dans l'ordre et sans mention aucune d'appendices culturels : 1812, une suite de Guerre et Paix puis l'Héroïque entière. Ahum.

Théo Bélaud