Photo M. Vaneev |
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- Paris, Salle Pleyel, le 4 décembre 2010
- Prokofiev - Cinq Mélodies, op. 35 ; Sonate pour violon et piano n°1 en fa mineur, op. 80 - Janáček, Sonate pour violon et piano - Ravel - Sonate pour violon et piano
- Boris Berezovsky, piano
- Vadim Repin, violon
C'est un récital qui commence en promettant et finit en dédramatisant les enjeux : peut-être parce que les promesses n'ont pas été tenues. Celà s'est joué à deux niveaux. D'abord, celui de la promesse d'un Vadim Repin à la flamme et au violon retrouvé, après une série interminable de prestations sans vie ni envie à Paris. Ensuite, celui d'un programme entièrement pris avec le même sérieux et surtout la même intimité avec la musique interprétée. Il est clair qu'en proposant une première partie entièrement consacrée à Prokofiev, ce duo rodé depuis plus de quinze ans et dont la rencontre était notamment liée à Prokofiev s'assurait une entame convaincante. A-t-elle été plus que seulement convaincante ? Pas franchement, non, mais il était toutefois agréable d'entendre les trois-quarts d'un programme superbement enregistré par Repin et Berezovsky pour Erato, particulièrement pour les Cinq Mélodies. Là, on retrouve le Repin discrètement subtil, au délié et à la fluidité d'intonations assez rares, exhibant une certaine évidence simplificatrice de ces mélodies faussement naïves et vénéneuses. Et bien sûr, cela fonctionne toujours mieux quand la conduite s'appuie sur un des trois pianos les plus classieux et poétiques de la planète - mon dieu, ces bribes de contrechants au piano, dans l'exposé du dernier andante ! Pour autant, l'intensité que Repin montrait il y a quinze ans, par exemple dans le lento, s'est tout de même étiolée. Et la décontraction de ses pizz dans l'Animato , ou sa simplicité dans l'exposé de l'Allegro scherzando ont un peu cédé à un volontarisme moins imaginatif. Mais cela reste de très belle facture, et a le mérite de faire entendre un Prokofiev rarement défendu au concert.
La sonate en fa mineur est, elle, bien plus souvent donnée, et il est plus difficile pour Repin de soutenir la comparaison avec les standards les plus élevés de son interprétation aujourd'hui. Dans l'ensemble, cette exécution bénéficie certes de l'évidente plus-value des facilités insolentes de Berezovsky, celui-ci éradiquant radicalement tout ce que les parties de piano habituellement entendues peuvent avoir de forcées et de difficiles. Mais dans l'Andante assai, si la justesse de ton de Repin ne se discute pas, celle des notes est parfois difficile, et surtout son violon manque de tension dans les dynamiques basses. Le vibrato ne frémit guère dans le pianissimo, et cela est d'autant plus gênant que Repin ne possède pas, ou plus, la réserve de puissance qui lui permettrait de faire oublier cette carence ; les harmoniques sont instables ; et les chromatismes sont pour le moins approximatifs, ce qui est moins grave dans la mesure où très peu de violonistes y font mieux - c'était tout de même le cas de Fischer il y a deux ans. L'Allegro brusco est plus réussi, y compris dans la tenue violonistique. Le contraste est flagrant avec l'interprétation volontaire et chargée de Roussev et Rozanova dont je parlais ici en début de saison : le ton est ici allégé tout en montrant une tension considérable, par l'énergie du rebond et surtout une tempo un peu plus rapide que la norme qui bénéficie d'une très grande clarté d'élocution, une forme d'aisance casuelle qui est paradoxalement au service de la noirceur ici. Berezovsky y étale du reste une maîtrise admirable du spicatto et des notes répétées, le tout avec un usage extrêmement limité de la pédale, et bien évidemment un degré zéro de dureté.
La suite sera plus anecdotique, notamment parce que le mouvement lent est le premier à montrer clairement qu'il n'est jamais bon de mettre la petite béquille au couvercle du piano pour faire de la musique de chambre. Boris l'avait déjà fait pour une soirée brahmsienne Salle Adyar l'an passé, qui fut pourtant mémorable en partie du fait des dimensions de la salle. A Pleyel, cela n'a aucun sens, et d'ailleurs il ne l'avait pas fait pour jouer avec Makhtin et Knaziev, qui il est vrai produisent chacun beaucoup plus de décibels que Repin. Mais l'enjeu n'a pas grand'chose à voir avec la dynamique pure : il s'agit d'harmonie et de longueur de note. Avec le clavier quasi clos, l'extrême grave sonne presque faux, et l'aigu manque de résonance, surtout quand l'usage de la pédale est minimaliste comme avec Boris. Toute la finesse de l'Andante se trouve ainsi appauvrie. Dans le finale, le discours reste clair et tenu, mais c'est le manque de projection de Repin qui déçoit à nouveau, notamment dans les ponctuations aigües, sur un coup d'archet. Rien de déshonorant, et cela restait le meilleur Repin entendu depuis longtemps. Mais pas pour longtemps.
On retrouvera, avec quelle frustration, le même problème pianistique dans la sublime ballade de la sonate de Janáček, où la ductilité de chant et la finesse des triples croches du piano sont au rendez-vous, mais où l'intensité du pianissimo est bridée par le manque de résonance naturelle. Pour le reste, la consistance du discours perd beaucoup après l'entracte. Dans ce Janáček, le premier mouvement est survolé, davantage d'ailleurs qu'il ne l'est dans l'enregistrement que Repin vient d'en faire avec Lugansky. Il est possible que cette différence de conception soit liée à Berezovsky, mais la dimension d'allègrement et de dédramatisation n'est pas gratifiante pour autant, faute d'intuitions assez fortes dans la juxtaposition des thèmes, qui paraissent assez anecdotiques. Cette dernière remarque s'appliquant à peu près à toute la sonate, ce qui est pour le moins frustrant quand des musiciens de cette réputation s'attaquent à l'un des sommets absolus les plus négligés du répertoire. La sonate de Ravel semble plus négligée encore, malgré l'hypnotisante entame pianistique, d'une classe exceptionnelle - je n'ai pas été le seul à n'avoir écouté à peu près que le piano durant cet Allegretto. Mais l'ensemble manque assez gravement d'enjeux et de là, d'un certain sérieux - on est bien loin, malgré la supériorité insolente du piano, du radical poème morbide proposé par Mullova et Labèque il y a trois ans, surtout dans un Perpetuum mobile dénervé et où la progression dramatique est aux abonnés absents. (et l'on ne risquait pas d'y trouver les sonorités d'outre-tombe du piano avec ce faux-piano...). Le Blues n'évite pas une complaisance assez facile : à l'image du choix d'un premier bis prévisible et fort ennuyeux - vous devinez : Tzigane. On ne pourra au moins reprocher au duo un manque de générosité, puisqu'ils reviendront pour proposer les six Danses Populaires Roumaines de Bartók : d'une certaine façon, pour y retrouver une forme de plaisir partagé assez sympathique, d'autant que la partition ne leur pose aucune difficulté technique. Mais ce Bartók semble pourtant, dans un autre genre, à peu près aussi éloigné de sa réelle gravité que, dans la même œuvre, Hélène Grimaud la semaine précédente.
Un récital qui pouvait viser l'excellence, s'est élancé vers elle et puis... s'est lentement et sûrement laissé glissé vers la facilité, hélas. Pour ma part, en dix concerts de ou avec Berezovsky, je n'avais encore jamais eu tant l'impression d'être en surface de la musique.
Théo Bélaud
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