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- Salonen, Helix ; Concerto pour Violon ; Wing on Wing
- Leïla Josefowicz, violon
- Anu Komsi et Piia Komsi, sopranos
- Orchestre Philharmonique de Radio France
- Esa-Pekka Salonen, direction
- Paris, Théâtre du Châtelet, le vendredi 18 février 2011
- Salonen, Memoria - Stravinsky, Renard
- Hillborg, Six Pièces pour quintette à vents - Salonen, Homunculus - Ligeti, Mysteries of the Macabre
- Hillborg, Six Pièces pour quintette à vents - Salonen, Homunculus - Ligeti, Mysteries of the Macabre
- Ensemble Avanti !
- Daniel Norman, Michael Bennet, ténors
- Roderick Williams, Ilya Bannick, basses
- Barbara Hannigan, soprano et direction On fait les regroupements que l'on peut. Le caractère arbitraire de ceux de certains des présents articles consacrés à Présences 2011 tient à tout sauf à des subtilités intellectuelles : en fait, il tient principalement à une stupide limitation en nombre de caractères alouables aux libellés (les tags, si vous préférez). Après avoir tenté tous les couples possibles et constaté qu'il n'y avait qu'une combinaison possible, il a bien fallu que je travestisse la chose en thématiques - les institutions musicales payent bien des gens pour faire la même chose avec les programmes sans queue ni tête, donc il n'y a pas de raison que je ne puisse pas le faire aussi. Les blondes, donc. Mark Anthony Turnage et Covent Garden ont bien fait le buzz de l'année en produisant un opéra consacré à la fertile problématique des gros seins, donc il n'y a pas de raison non plus. Plus sérieusement, les blondes ont figuré parmi les protagonistes les plus magnifiques de la grande bacchanale salonenienne, et méritent donc d'être distinguées autrement que par une blague - dès que je le pourrai, je ferai une chronique sur des altistes.
Et puis, c'est une façon de rendre hommage à une facette de Salonen forcément favorable au développement de sa popularité (et de la section française de l'Internationale de ses groupies). Comme dirait ma femme, Salonen, quel homme : non seulement il est le plus fantastique chef de sa génération et un compositeur souvent passionnant, mais en plus, il est beau, drôle, manifestement imperméable au vieillissement, a épousé une jolie violoniste (blonde) du Philharmonia, qui lui a donné trois beaux enfants (blonds) et a gagné à L.A. un très officiel titre de First Lady (c'était sous W, donc permis) ; et enfin, il est entouré d'un commando finno-canado-polonais de blondes incendiaires qui jouent (brillamment) sa musique. Tant que nous y sommes, comme il lui arrive de boire une coupe avec Steven Spielberg, il y a clairement une fenêtre ouverte pour la production d'un biopic d'enfer (Un homme d'exception II, par exemple), où on devrait trouver le moyen de caser Scarlett Johansson (en Gepopo?), et où à la fin Salonen transperce Jack Bauer de sa baguette (sur fond de Finlandia).
Création mondiale à NYC, 2010 © Paul Kolnik/New York City Ballet |
Commençons par le plus (relativement inattendu) triomphe doré. Composé l'an dernier pour une commande du New York City Ballet, le Concerto pour violon parcourt depuis le monde avec un succès manifeste, à chaque fois défendu par Leïla Josefowicz et le compositeur. La violoniste polonaise, qui ne m'avait pas fait forte impression dans l'unique concerto que je l'ai entendu donner (le Beethoven) navigue dans cette partition comme un poisson dans l'eau, la jouant par cœur (exploit à ne pas sous-estimer cependant) et parvenant de toute évidence à en faire une sorte d'expérience transcendante, en un sens très concret : l'investissement personnel qu'elle a vraisemblablement mis à défendre ce concerto l'a manifestement amenée, sinon à élever ses facultés violonistiques, du moins à en tirer le tout meilleur, en dépit d'une sonorité intrinsèquement un peu aigre. Le fait que le soliste ait été ici bien plus convaincant que Yefim Bronfman dans les créations mondiales et françaises du Concerto pour piano ne peut cependant détourner l'attention de l'essentiel, qui est que l'on tient là de nouveau une page majeure de Salonen. René Bosc avait mis la barre très, trop haut sans doute, en l'annonçant comme le grand concerto pour violon du nouveau millénaire aux côtés de celui de Thomas Adès (je ne suis pas un fou d'Adès, mais c'est en l'occurrence assez flatteur). Disons que l'on ne sera pas là pour observer le verdict de l'histoire. Mais au temps présent, l'œuvre s'impose comme l'une des plus belles, sinon la plus belle qu'a composée Salonen. Oui, elle est, selon les points de vue, volubile ou bavarde, comme le Concerto pour piano, mais pas tout à fait de la même manière.
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Les deux concertos diffèrent sur plusieurs plans : d'abord quant à la dimension concertante elle-même, plus marquée en faveur du violon, même si Salonen le fait jouer durant la quasi totalité du premier mouvement. Ensuite quant à l'architecture : quatre mouvements contre trois bien sûr, mais surtout une construction plus épisodique et moins organique dans ce dernier opus. Même les mouvements centraux (Pulse I et Pulse II) n'entretiennent pas de réelles connections autres que sémantiques, l'un mimant les spasmes d'une respiration malade et l'autre une danse sauvage. Le premier (Mirage) commence en partie là où se finissait le Concerto pour piano, sur une toccata relativement douce et consonante, dont la logique de progression harmonique fait ici curieusement songer à celle de l'ostinato du chœur d'enfant Dona Nobis Pacem. Toccata, à la différence près que le violon suit ici son propre cheminement sans que le discours ne circule entre soliste et orchestre, celui-ci se situant surtout dans un rapport conflictuel de ton, malgré un matériau partagé, notamment du fait de l'empilement de pédales hallucinées contrariant l'optimisme de la marche en avant. Le procédé est bien exploité, la progression du soliste se faisant alors plus irrégulière, tantôt incertaine et tantôt velléitaire.
La suite est à la fois extrêmement brillante à tous points de vue (mise en valeur de la virtuosité du soliste et imagination de l'écriture) et souvent très émouvante dans les mouvements pairs. Au-delà de son procédé figuratif assez discret, Pulse I, joué attaca, contient de superbes instants chambristes, faisant dialoguer les premiers pupitres de cordes avec le soliste ou proposant de superbes alliages sur les motifs de ce dernier (comme celui avec la trompette) : on trouve ici, comme dans le dernier mouvement (Adieu), les prémices possibles d'une évolution de Salonen à l'image de celle entamée par Lindberg au début de la décennie précédente, ne sacrifiant rien à la science plastique mais pratiquant celle-ci avec davantage d'économie de moyens orchestraux. Du moins peut-on l'espérer. Le spectaculaire Pulse II ne fait, lui, aucune concession à la dite économie, et se présente comme un très roboratif scherzo - moment déjà fameux outre-Atlantique où la batterie rock est priée de "go crazy" -, explorant les limites physiques de l'engagement virtuose et rythmique ("quelque chose de très californien", déclarait malicieusement Salonen à son endroit . Pour autant il ne s'agit pas que de spectacle ici, Salonen montrant en de nombreux endroits son habileté à créer plusieurs micro-processus parallèles, notamment en créant l'illusion que le violon et la petite harmonie jouent sur des mètres ou tempos différents (ce qui n'est pas le cas). Adieu revient à une forme plus classique, pour un mouvement lent, de relation violon-orchestre fusionnelle, malgré les éclats de fureur du second, qui sont parmi les plus réussis écrits par Salonen - je me demande par ailleurs, sans avoir pensé à le vérifier, si le climax central ne contient pas une très brève citation de Tapiola. Il est quant à lui remarquable par son mode de développement de la ligne soliste. Il s'agit au fond d'une unique mélodie dont les relations internes s'altèrent subtilement pour énoncer toujours, non pas un motif mais une une sorte d'idée générale, de mélodie vague - les trois extraits ici montrés, qui débutent respectivement aux mesures 1, 59 et 87 sur 178, en sont je crois assez représentatifs.
Helix (2005) n'est pas une page extrêmement ambitieuse, mais n'en est pas moins assez attachante, par l'effet qu'elle produit et tout de même par le sérieux de son projet d'écriture, sur le plan technique. Une fois de plus, la musique de Salonen ne prétend pas ici apporter de profondes révélations, mais réussit assez brillamment un exercice aux contraintes préalables intéressantes - quitte à se répéter encore et toujours, intéressantes parce que strictement abstraites et techniques, garanti avec 0% de méta ou de pataphysique. Deux idées thématiques simples qui circulent, un tempo lent de départ et des valeurs courtes, le tempo se resserre continuellement et les valeurs s'allongent proportionnellement, et pourtant la musique donne l'impression d'une perpétuelle accélération - selon, donc, un principe hélicoïdale. Salonen en fixe le temps d'exécution à neuf minutes environ, qu'il dépasse ici assez nettement, semblant s'interdire un emballement final trop facile : la prestation du Philhar n'en est pas moins belle, au moins égale en qualité à celle de l'enregistrement de Los Angeles, mais j'avoue que je m'attendais à un degré supérieur d'excitation... depuis que circule l'exécution (ci-dessus) du dédicataire de cette ouverture de concert, Valery Gergiev - avec le LSO, aux Proms 2005, et en neuf minutes bien frappées.
A. Komsi |
P. Komsi |
Renard à Helsinki |
Au Châtelet |
Ceci n'est pas une (proposition de) pipe, ceci est un chef d'orchestre |
Théo Bélaud
le petit concertorialiste by Théo Bélaud est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage des Conditions Initiales à l'Identique 2.0 France.