B.B. à la rencontre de B.B.

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- Paris, Salle Pleyel, les mercredi 23 et jeudi 24 février 2011

- Ravel, Alborada del Gracioso ; Bartók, Concerto pour piano n°2 en sol majeur, Sz. 95

- Boris Berezovsky, piano
- Orchestre de Paris
- Josep Pons, direction



Berezovsky s'attaquant à Bartók est une idée source de paradoxes. Bonne nouvelle, forcément : l'un des trois, sinon le pianiste le plus doué, potentiellement illimité de sa génération élargit son répertoire en y ajoutant un jalon qui n'est pas donné à tout le monde, et n'est même donné à presque personne. Pour certains (qui l'aiment et aiment Bartók pour de bonnes raisons), il y a au moins de l'espoir : le maître de la continuité harmonique et du legato aux prises avec une musique sublime mais presque toujours réduite bêtement à sa dimension folklorique et rythmique, voilà qui promet qui devrait produire des choses sortant de l'ordinaire, et dans la bonne direction. Pour d'autres qui n'aiment pas Boris et aiment Bartók pour de mauvaises raisons, cela peut fonctionner aussi : le moujik qui joue très vite et très fort et le compositeur qu'il convient de jouer de façon (sic) percussive. Malheureusement pour eux, cela fait un bout de temps que Berezovsky ne joue presque plus rien au-dessus du mezzo-forte, exception n'ayant pas été faite ici... Les premiers au moins ont-ils été servis ? Pas sûr.
Il n'y a pas eu de différences majeures entre les deux exécutions données les mercredi et jeudi. En tout cas, pas dans l'orchestre et sa direction, qu'on s'abstiendra entièrement d'évoquer de sorte à ne pas devenir grossier. Fort logiquement, et en partie suivant le même objectif, je me suis aussi abstenu les deux soirs d'ingérer les oriento-espagnolades ravéliennes, qui sont comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire la seule musique, ou presque, que je suis incapable d'écouter sans haut-le-cœur ou fou rire. L'ennui étant qu'au milieu trônait un chef d'œuvre absolu traité avec le même sérieux très relatif que pouvait l'être le reste du programme constitué (le grand chelem, moins Daphnis) d'Alborada, Rhapsodie Espagnole, Shéérazade et Boléro.

On repassera donc pour ce qui d'un véritable concerto. Au moins, et même si le naufrage orchestral était là sans commune mesure avec le passage à vide de la Staatskapelle Berlin deux semaines avant, on avait ici un pianiste capable de tutoyer la partition. Le problème est plutôt que Berezovsky ne s'en saisit pas vraiment, en tout cas dans le premier mouvement, qui des trois est celui souffrant le plus systématiquement d'un manque de structure, d'intuition architecturale. On est là déterminé par un degré d'exigence légèrement anormal, mais pardon : d'un côté, il y a Berezovsky; de l'autre, il y a comme pour tout le standard connu dans une œuvre donnée. Or B.B. est ici en panne de discours, l'immédiateté de ligne que sa technique lui permet ne surgissant guère cette fois. Et ce qui est fâcheux est bien l'autre versant de l'équation : au plus haut niveau, passer après Ránki dans ce concerto n'est pas difficile, c'est franchement impossible. Impossible de s'y mesurer dans le chant ou dans le rebond : impossible de s'élever à ce degré ultime de domination de la forme. Il reste aux autres - et Boris fait ici parti des vulgaires autres - de malheureuses miettes.
Pas si malheureuses que cela, quand même, car la musique s'offre de façon plus gratifiante à qui la joue avec facilité, mais seulement à partir de l'adagio, qui convient bien à Berezovsky ne serait-ce que par la quantité d'unissons flattant son exceptionnelle densité dans les nuances intimes, sa faculté supérieure de faire sonner le piano plus juste que le tout venant. De ce point de vue, les deux sections transitoires piu adagio sont tout à fait remarquables, efficacement nocturnes, quoique pas assez inquiétantes. Le presto est également assez valorisant pour B.B, qui peut étaler (surtout le premier soir) son admirable science des notes répétées ou, bien sûr, du legato et de la fluidité de déplacement. Science lui conférant les facilités qui manquent à tant d'autres dans les mouvements extrêmes, et qui lui joue dans le finale des tours semblables à ceux du premier mouvement. La rigueur rythmique a toujours été un talon d'Achille de Berezovsky, qui le rattrape ici - aux deux concerts, pour ne prendre qu'un seul exemple presque trop évident, il attaquait sa dernière montée avec un temps d'avance, semblant la deuxième fois surpris de finir à nouveau en avance ! On ne peut certes bouder son plaisir d'entendre tous ces enchaînements de doubles octaves qui ne cognent jamais - oui, mais ceux de Ránki chantent en plus, comme ceux de Boris chantent dans Liszt ou Chopin.

J'espérais une prise en main plus assurée du propos au second concert (s'agissant du seul piano, bien sûr), mais ce ne s'est malheureusement pas produit. La saison dernière avait été un cru parisien d'anthologie pour Berezovsky, en récitals (Louvre et Pleyel), musique de chambre (Adyar et Pleyel) et concerto (TCE). La livrée 2010-11 n'aura pas tenu toutes ses promesses dans chacune de ces catégories, mis à part dans le magnifique Medtner de septembre. Qu'à cela ne tienne, la saison prochaine le verra remettre sur le métier son 2e de Prokofiev (il en avait donné un quasi-légendaire au TCE en 2007), toujours avec l'OP mais cette fois avec le prometteur Kirill Petrenko.

Théo Bélaud

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