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C. Gaugué (un peu rajeuni) |
- Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le dimanche 6 mars 2011
- Mozart, Quintette à cordes n°4 en sol mineur, KV. 516 - Brahms, Sextuor à cordes n°1 en si bémol majeur, op. 18
- Nikolas Znaider, 1er violon
- Solistes de l'Orchestre Philharmonique de Radio France : Svetlin Roussev, 2nd violon ; Christophe Gaugué, 1er alto ; Fanny Coupé, 2nd alto ; Éric Levionnois, violoncelle ; Pauline Bartissol, 2nd violoncelle (Brahms).
Après les trois semaines d'ivresse Salonen, durant lesquelles le Philhar était le centre du monde orchestral, ses musiciens sont de retour aux affaires courantes, ou presque. La musique de chambre fait partie, peut-être de façon plus importante que pour les musiciens du National, de leurs activités régulières, que ce soit dans le cadre de la programmation officielle de l'orchestre ou non - et cette souplesse est en soi for louable. Ceci étant, outre le cas Roussev qui est bien sûr à part et relève d'une vraie carrière parallèle de soliste, je n'avais je crois écouté au concert que le violoncelliste Éric Levionnois, dans une belle exécution à 11 de la Sérénade de Tchaikovsky, emmenée par Roussev à Gaveau. Ce ne sont à part cela que les bois du Philhar' que j'ai pu entendre - avec bonheur - à plusieurs reprises, en quintette dans Mozart, Beethoven et Ligeti. Nikolas Znaider, qui dirigera prochainement le Philhar' dans Mendelssohn, a certainement ici eu l'opportunité de constater l'excellent niveau des premiers pupitres de l'orchestre - sa dernière apparition avec celui-ci avait du reste très bien fonctionné, dans le 1er Concerto de Chostakovitch dirigé par Dudamel (mais oui) en juin 2008. En faisant un peu de mauvais esprit, et bien que j'apprécie beaucoup le violoniste danois, j'imagine qu'il a même pu se rendre compte que le principal konzertmeister de l'OPRF aurait certainement pu faire un primarius aussi valable que lui.
S. Roussev |
Entendre Svetlin Roussev comme second violon est un peu frustrant par essence, sauf à envisager de placer à ses côtés un Zehetmair, un Aharonian, un Zukerman, un Kavakos (pour s'en tenir aux praticiens du quatuor, constitué ou non). Si l'on faisait abstraction de cela, on ne peut cependant jeter la pierre à Znaider, qui m'a plutôt agréablement surpris dans son rôle, surtout après sa dernière prestation concertante (le Brahms avec Colin Davis) exagérément chargée en testostérone. Son jeu dans Mozart est non seulement bien calibrée en matière de volume, mais de plus ne cherche même pas à adopter une attitude de primarius viennois concertant - ce qui paraît logique : pour ce que j'en connais, je suppose que la sensibilité danoise penche plutôt du côté plus équilibré et global de la conception du quatuor. Dans l'allegro initial, sa conduite est on ne peut plus sobre, ce qui ne veut pas dire placide : il a le son et l'autorité naturelle d'archet qui permet d'entretenir la tension sans accents malvenus, art dans lequel Roussev excelle tout autant et le second donc très bien. Au reste, cet équilibre symphonique (au sens harmonique et non dynamique) est très bien servi par les solistes du Philhar', en particulier par Eric Levionnois, tout à fait inspiré dans le premier mouvement.
C'est ensuite que les choses se gâtent, d'abord un peu beaucoup, avec un menuet sans ligne claire, sans rebond, et passablement empesé en dépit d'une qualité instrumentale irréprochable. On se dit alors que la continuité va manquer à l'adagio, mais ce n'est pas le cas : le naturel de l'équilibre fonctionne à nouveau, et même si Znaider ne semble pas vraiment capable de combiner ici l'art de ne rien appuyer avec celui de sortir des phrases qui transpercent, sa facilité d'intonation et sa pudeur suffisent. Le mouvement lent est par ailleurs l'occasion pour les altos de Christophe Gaugué et Fanny Coupé de se mettre tous deux en valeur, de très belle manière. L'introduction du finale manque en revanche de tension, et l'allegro parait un peu émerger sans nécessité réelle. Dommage, car sa construction, rigoureuse et sans détours enjoliveurs, était de belle facture par la suite.
E. Levionnois |
A vrai dire, si je n'avais pas vraiment pu me faire une opinion sur les qualités de chambristes d'Éric Levionnois et Christophe Gaugué, ces deux-là n'en faisaient pas moins individuellement partie de mes plus beaux souvenirs musicaux. Le premier était le violoncelle solo dans la mémorable exécution de Ringed by the flat horizon de George Benjamin, sous la direction du compositeur en décembre 2008. Le second s'était notamment illustré, avec Roussev, en apportant une contribution substantielle à la sublime Nuit Transfigurée dirigée par Boulez deux mois plus tard. Et le moment peut-être le plus touchant et abouti de ce concert a peut-être bien été la cinquième (et dernière avant le retour du thème) variation de la chaconne, celle presque entièrement confiée au premier alto, qui plus est dans un registre unique peu confortable, dans lequel Gaugué est étonnant d'aisance, de justesse et de ferveur contenue. Lui et ses compères n'auront pas cédé grand'chose en qualité générale durant le sextuor, mais là aussi la conduite de Znaider s'est montrée inégale, avec pour principal mérite, outre la beauté instrumentale, le souci de ne jamais trop en faire. Mais à ne pas oser de relance trop risquée, le résultat produit oscille dans le premier mouvement entre beaux moments d'intimité et plages d'inertie frustrantes.
N. Znaider |
Dans la première catégorie, il y a l'attention intelligente des deux violons à presque s'effacer au profit de l'ostinato de basse menant à la reprise. Dans la seconde, il y a par exemple un certain suivisme de la part Znaider dans la respiration des thèmes, notamment le premier et le troisième, tous deux énoncés aux violoncelles et qu'il ne semble répéter que par superposition - un comble sur le plan de l'équilibre, alors même qu'on s'attendrait à ce que le rutilant Del Jesu de Kreisler paraisse trop rayonnant dans l'unisson avec le médiocre instrument de Levionnois ! Le problème est un peu le même dans la chaconne et dans l'exposé du finale, mais dans une moindre mesure - dans ce dernier cas, on peut reprocher à Levionnois de prendre le poco allegretto, comme tant de chefs dans la 3e Symphonie, de manière trop peu allante, oubliant le grazioso. Cela ne remet pas en cause la grande qualité d'articulation de son jeu, sans aucune complaisance malgré la largesse de battue, mais n'était pas forcément le choix le plus facile à tenir pour la continuité collective. C'est le scherzo qui, enchainé à une fin de chaconne plus gratifiante que son entame, est finalement le plus réussi, par la discipline générale, la densité et l'économie d'effets supplétifs. Ici, nos sextettistes font droit au but, respirent simplement et puissamment pour condenser le meilleur d'un concert inconstant d'inspiration, mais sérieux au meilleur sens du terme et parsemé de beaux moments.
Théo Bélaud
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