V V
- Paris, Auditorium du Louvre, le mercredi 30 mars 2011
- Mendelssohn, Quatuor n°3 en ré majeur, op. 44 n°1 - Jalbert, Quatuor n°4 - Beethoven, Quatuor n°15 en la mineur, op. 132
- Quatuor Escher : Adam Barnett-Hart, 1er violon ; Wu Jie, 2nd violon ; Pierre Lapointe, alto ; Dane Johansen, violoncelle
Que dire, au juste ? Voilà un concert bien difficile à... raconter, pour peu que l'on prenne un peu en compte la dimension narrative d'un compte-rendu. Un des innombrables avantages de la liberté de format et de parole est de pouvoir témoigner d'une chose relativement ordinaire, qui arrive à tous les critiques au moins une fois par an, un peu moins, beaucoup plus peut-être, peu importe : s'endormir. Je doute fort que vous trouviez un critique autorisé qui raconte avoir piqué du nez, même cinq minutes, comme cela m'est arrivé durant le Mendelssohn des Escher - je précise que j'aime Mendelssohn, sans doute plus que la moyenne des mélomanes : les quatuors et tout le reste, et je ne demande qu'à en entendre plus souvent, ce qui me pousse d'ordinaire à une certaine complaisance vis-à-vis de qui en joue. Mais là... Outre l'hypocrite conception du sérieux journalistique (oxymore au charme ineffable), il y a une bonne raison pour ne pas parler de ses endormissements au concert : c'est qu'on ne peut prétendre parler des aventures d'Orphée survenues tandis que l'on embrassait Morphée. C'est un fait : donc, pour ce qui est des mouvements centraux de l'opus 44/1, je passe mon tour.
Une autre raison, moins bonne, est que l'on peut soupçonner le dormeur d'avoir lâché prise pour quantité de raisons extérieures à la qualité du concert. Mais il en va ici comme des soupçons génériques de mauvaise humeur, de frustration inavouable et autres turpitudes susceptibles de fausser tout jugement critique : l'aspect pratique de ces soupçons, justement parce qu'ils sont des soupçons, est qu'ils disqualifient le critique sans qu'il ait la moindre chance de se défendre. Donc, soit : je n'avais pas dormi depuis trois jours, mangé deux choucroutes dans l'après-midi, et puis j'avais avalé des barbituriques avec du cognac au Café Marly juste avant de descendre dans la Pyramide. En toute hypothèse, il devait être bien, ce Mendelssohn.
Par contre, désolé, mais j'ai attentivement écouté la suite. Naturellement, les quatuors de répertoire traditionnel défendant les pages de leurs contemporains étant peu nombreux, les Escher doivent par principe être salués. Le choix de Pierre Jalbert, américain mais comme eux québécois d'origine, n'est certes pas le plus audacieux qui soit. Peu connu en France, ce compositeur de quarante-quatre ans a le vent en poupe depuis une décennie outre-Atlantique et outre-Manche. Celui qui fut un élève de Crumb a manifestement rompu avec l'avant-gardisme de l'ancienne génération américaine : comme beaucoup d'autres, me direz-vous. Ce n'est pour autant, certainement pas, un mauvais compositeur, et la quantité et la diversité de sa musique de chambre plaide par ailleurs en faveur de sa reconnaissance, dans un contexte où celle-ci ne s'acquiert guère que par la musique orchestrale ou adaptée aux ensembles spécialisés.
Syncrétiste d'apparence, son langage harmonique, dans ce quatuor ou dans d'autres pages, a le mérite du va-et-vient de part et d'autre de la frontière tonal/atonal. Malheureusement, il ne donne pas pour autant une impression de richesse ou de grande inventivité, et semble essentiellement soumis à un souci de thématisation rythmique, et plus généralement d'instauration de climats bien déterminés. Le quatuor, structuré de manière néo-classique (quatre mouvements suggérant chacun une fonction traditionnelle, quoiqu'avec quelques ambiguïtés), brille essentiellement par son sens de la motricité, de la vie polyphonique, mais pas tant par sa tension architecturale. Comme série de tableaux bien ficelés et troussés, il est appréciable, mais l'arche que suggère la réapparition du motif rythmique saccadé initial, dans le dernier mouvement, ne convainc guère de sa fonction unifiante. Peut-être le manque d'impact sonore, physique du jeu des Escher a-t-il minimisé l'impact de la dimension hédoniste de l'œuvre : c'est possible, mais n'empêcherait de toute façon pas un auditeur non informé de croire que ce quatuor a été composé dans les années 30 ou 40...
Le son : de prime abord, c'est ce qui manque le plus clairement aux Escher. On pourrait passer là-dessus, dans une certaine mesure, notamment parce qu'il y a fort à parier que la médiocrité générale des instruments utilisés y soit pour beaucoup. Il n'empêche que la faiblesse dynamique générale de l'ensemble est confondante - et il n'y a guère de meilleur endroit que l'Auditorium du Louvre, assis en plein milieu, pour écouter un quatuor. Cette faiblesse est factuelle mais est aussi une grisaille, un monochromatisme rapidement usant dans la mesure où il n'est ni beau, ni intense. Pourtant, les Escher paraissent relativement engagés ; leur jeu ne pose pas de problème majeur de cohésion, ni de justesse. Les notes y sont. Le respect du texte, son intelligence aussi. Mais l'absence de toute signature sonore et toute (réserve de) puissance naturelle n'explique pas seule le cruel manque d'enjeux d'un bout à l'autre sidérant dans l'opus 132. En particulier dans des mouvements extrêmes anémiques, d'une platitude rare - un seul exemple, la fin de l'introduction du finale : le caractère anecdotique des trémolos, l'indifférence de la cadence du primarius, l'attente du thème durant laquelle on entend presque un métronome qu'écouterait le quatuor pour oser commencer.
Car c'est bien le fond de l'impression générale : on jurerait qu'ils ont peur - ils jouent plutôt bien, mieux que d'autres en tout cas, techniquement parlant. Comment jouer un dernier Beethoven en ayant peur ? L'opus 132, après la grande déception provoquée par les Artemis cet automne, n'a décidément pas de chance. Quand les interprètes sont impuissants à ce point, au moins constate-t-on à chaque fois la même chose : passé le premier andante, le Heiliger Dankgesang fait décidément partie de ces pages qui semble résister farouchement au besoin d'interprètes, ou pour le dire à l'envers, dont l'écoute fait oublier qu'il y a enjeu d'interprétation - et celà fonctionne presque pour le second mouvement aussi, son trio du moins, même joué avec des pincettes : dès lors que les notes, même timides et indifférentes y sont, la musique parle. Pour le coup, toute seule est l'expression appropriée.
Syncrétiste d'apparence, son langage harmonique, dans ce quatuor ou dans d'autres pages, a le mérite du va-et-vient de part et d'autre de la frontière tonal/atonal. Malheureusement, il ne donne pas pour autant une impression de richesse ou de grande inventivité, et semble essentiellement soumis à un souci de thématisation rythmique, et plus généralement d'instauration de climats bien déterminés. Le quatuor, structuré de manière néo-classique (quatre mouvements suggérant chacun une fonction traditionnelle, quoiqu'avec quelques ambiguïtés), brille essentiellement par son sens de la motricité, de la vie polyphonique, mais pas tant par sa tension architecturale. Comme série de tableaux bien ficelés et troussés, il est appréciable, mais l'arche que suggère la réapparition du motif rythmique saccadé initial, dans le dernier mouvement, ne convainc guère de sa fonction unifiante. Peut-être le manque d'impact sonore, physique du jeu des Escher a-t-il minimisé l'impact de la dimension hédoniste de l'œuvre : c'est possible, mais n'empêcherait de toute façon pas un auditeur non informé de croire que ce quatuor a été composé dans les années 30 ou 40...
Le son : de prime abord, c'est ce qui manque le plus clairement aux Escher. On pourrait passer là-dessus, dans une certaine mesure, notamment parce qu'il y a fort à parier que la médiocrité générale des instruments utilisés y soit pour beaucoup. Il n'empêche que la faiblesse dynamique générale de l'ensemble est confondante - et il n'y a guère de meilleur endroit que l'Auditorium du Louvre, assis en plein milieu, pour écouter un quatuor. Cette faiblesse est factuelle mais est aussi une grisaille, un monochromatisme rapidement usant dans la mesure où il n'est ni beau, ni intense. Pourtant, les Escher paraissent relativement engagés ; leur jeu ne pose pas de problème majeur de cohésion, ni de justesse. Les notes y sont. Le respect du texte, son intelligence aussi. Mais l'absence de toute signature sonore et toute (réserve de) puissance naturelle n'explique pas seule le cruel manque d'enjeux d'un bout à l'autre sidérant dans l'opus 132. En particulier dans des mouvements extrêmes anémiques, d'une platitude rare - un seul exemple, la fin de l'introduction du finale : le caractère anecdotique des trémolos, l'indifférence de la cadence du primarius, l'attente du thème durant laquelle on entend presque un métronome qu'écouterait le quatuor pour oser commencer.
Car c'est bien le fond de l'impression générale : on jurerait qu'ils ont peur - ils jouent plutôt bien, mieux que d'autres en tout cas, techniquement parlant. Comment jouer un dernier Beethoven en ayant peur ? L'opus 132, après la grande déception provoquée par les Artemis cet automne, n'a décidément pas de chance. Quand les interprètes sont impuissants à ce point, au moins constate-t-on à chaque fois la même chose : passé le premier andante, le Heiliger Dankgesang fait décidément partie de ces pages qui semble résister farouchement au besoin d'interprètes, ou pour le dire à l'envers, dont l'écoute fait oublier qu'il y a enjeu d'interprétation - et celà fonctionne presque pour le second mouvement aussi, son trio du moins, même joué avec des pincettes : dès lors que les notes, même timides et indifférentes y sont, la musique parle. Pour le coup, toute seule est l'expression appropriée.
Théo Bélaud
le petit concertorialiste by Théo Bélaud est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage des Conditions Initiales à l'Identique 2.0 France.