- Mozart, Quintette à cordes n°3 en ut majeur, KV 515 ; Quintette à cordes n°5 en ré majeur, KV 593
- Quatuor Bennewitz : , Jiri Nemecek, 1er violon ; Stepan Jezek, 2nd violon ; Jiri Pinkas, alto ; Stepan Dolezal, violoncelle - Arnaud Thorette, 2nd alto
Voici enfin un quatuor d'à peine plus de dix ans (d'existence) sur lequel parier. Précision importante, je ne médis pas ici en creux sur la scène quarttetiste actuelle : mais le fait que est que la relative pauvreté et surtout le manque de plan directeur à la saison de quatuor parisienne empêche d'avoir chaque année un aperçu de la nouvelle génération en sus des grandes formations établies. Et du coup, je n'ai souvenir que d'un concert de trentenaires assez marquants, en ces mêmes lieux, qui remonte tout de même à l'automne 2008 (le Doric Quartet). Justement, s'ajoute à cela le fait que les jeunes passent et trépassent dans les programmation, autant à la Biennale qu'au Louvre : au point que j'avais sérieusement envisagé de retourner écouter les Doric à Londres dimanche prochain, projet dont la grippe de Pollini - qui devait jouer vendredi - et l'apocalypse katewilliamienne ont eu raison. Mais enfin, si vous vivez à Londres, profitez-en.
Je place à part le cas du Quatuor Pavel Haas dans la mesure où celui-ci, pourtant fondé encore plus récemment que les Bennewitz, a acquis une large reconnaissance faisant presque oublier sa précocité : ceci étant, depuis leur venue au Louvre de 2009, ils ne semblent pas avoir remis les pieds à Paris, et pour les réentendre j'irai sans doute à la Grange de Meslay à la fin juin.
Il est intéressant, quoique non entièrement pertinent, de comparer ces compatriotes et co-générationnaires. Les Bennewitz apparaissent comme les Haas des prototypes d'impétrants susceptibles de prendre la place symbolique des Talich, Prazak et autres Skampa ou Kocian. Tous deux ont glané certaines des plus prestigieuses récompenses internationales, et se sont formés et perfectionnés auprès de membres des quatuors les plus prestigieux du monde, avec un maître commun qui a certes été le maître de bien des générations de jeunes ambitieux : Walter Levin. Tous deux semblent perpétuer une tradition alternative à celle du primarius concertant, et fondée sur une aération typique du tissu polyphonique : ni concerto, ni instrument unique intégré, mais conversation égalitaire. Jusqu'ici, tout va bien.
Si les Bennewitz n'ont pas encore acquis la réputation des Pavel Haas, il est permis de penser que c'est à cause de personnalités instrumentales moins affirmées (et sans doute de l'absence de filles sublimes aux violons, mais cela n'est pas de leur faute). On se situe là un bon cran en-dessous en matière de luxe sonore, voire d'homogénéité (la prestation fort appliquée mais très anonyme d'Arnaud Thorette au second alto ne changeant pas fondamentalement le point de vue, dans des partitions où cette partie n'est guère valorisante). Les Bennewitz, d'abord, ont en la personne de Stepan Dolezal un violoncelliste fort sérieux, juste et à l'écoute de ses partenaires, mais se tenant à distance respectable de la personnalité instrumentale et de l'autorité conductrice de Peter Jarusek (ou a fortiori de Petr Prause ou Michal Kanka). Cela a un impact sur l'équilibre, non pas dynamique mais discursif, plus important qu'on ne pourrait le croire dans des quintettes de Mozart : le fait est que, si l'équilibre harmonique est toujours satisfaisant, une certaine circulation de la tension fait défaut, se limitant aux trois premières portées.
Par ailleurs, ils possèdent avec Jiri Nemecek est primarius souvent inspiré, qui manie avec subtilité son très grand investissement de sorte à ne jamais écraser ses collègues : un primarius vedette mais curieusement non concertant, voilà qui rappelle le modèle stylistique des Prazak de l'ère Remes. C'est fort bien, mais, on s'en doute, Nemecek n'est (encore ?) Remes, et l'ennuyeux est qu'il a une légère tendance à présenter de menues sautes de concentration et de précision rappelant tout autant son illustre aîné. Rien de grave, vraiment, sinon dans le menuet du quintette en ré, souvent approximatif : le genre de détail que l'on fait à tort ou à raison payer plus cher à des espoirs supposés plus infaillibles techniquement. Ce relatif manque de constance reste anecdotique en regard de la quantité de beaux éléments violonistiques démontrés, à commencer par ces gammes de doubles croches dans le premier mouvement du quintette en ut, ou ces montées en grupetto dans son mouvement lent, toutes idéales par leur précision décontractée.
Ces limites plus ou moins gênantes étant posées, l'ensemble garde assez fière allure et bénéficie de voix intermédiaires, elles, parfaitement affûtées. Mieux, en fait : dotées de fortes personnalités musicales, prêtes à tout moment à relayer le discours, à renouveler l'énergie conductrice, à donner chair à la forme. Le violon de Stepan Jezek est particulièrement étonnant non seulement de présence, mais d'à-propos dans la participation à l'élan collectif, dans l'appropriation des levées, de la préparation des changements dynamiques : son jeu pourrait paraître excessivement théâtral pour un second violon de quatuor, mais en réalité ne fait que dénoter une grande intelligence des partitions et une connaissance très bien mise à contribution des parties de ses partenaires. Autant de choses qui procurent un grand plaisir d'écoute et d'observation.
Ces voix intermédiaires, combinés à ce que les extrêmes ont de meilleur, garantissent la plupart du temps une interprétation racée dans son classicisme sobre, ce qui n'est finalement pas si courant dans ce répertoire, souvent tiraillé entre platitude académique et excès divers et variés dans la réappropriation stylistique. Des réussites certaines sont atteintes dans presque tous les mouvements de chacun des quintettes, nonobstant un manque d'éloquence dans l'introduction du ré majeur, due à un violoncelle trop sage. La suite sera en revanche remarquable de verve, de verdeur même, sans une once de trivialité, dans la continuité d'un finale de l'ut majeur assez osé, dans un tempo très rapide fort bien négocié. Dans le détail, les éléments les plus remarquables sont souvent l'apanage des petites transitions supérieurement caractérisées par Jezek et Pinkas. (ce dernier qui, soit dit au passage, est violoniste de formation). A cet égard, le troisième mouvement du KV 515 est spécialement remarquable dans la gestion de la tension, la conviction sans artifice ni volontarisme des relances, la cohésion des sforzandos sans accents grossiers.
Des fragilités, sans doute, une dimension univoque et légèrement anonyme, peut-être. Mais de l'excellence en puissance, aussi.
Il est intéressant, quoique non entièrement pertinent, de comparer ces compatriotes et co-générationnaires. Les Bennewitz apparaissent comme les Haas des prototypes d'impétrants susceptibles de prendre la place symbolique des Talich, Prazak et autres Skampa ou Kocian. Tous deux ont glané certaines des plus prestigieuses récompenses internationales, et se sont formés et perfectionnés auprès de membres des quatuors les plus prestigieux du monde, avec un maître commun qui a certes été le maître de bien des générations de jeunes ambitieux : Walter Levin. Tous deux semblent perpétuer une tradition alternative à celle du primarius concertant, et fondée sur une aération typique du tissu polyphonique : ni concerto, ni instrument unique intégré, mais conversation égalitaire. Jusqu'ici, tout va bien.
Si les Bennewitz n'ont pas encore acquis la réputation des Pavel Haas, il est permis de penser que c'est à cause de personnalités instrumentales moins affirmées (et sans doute de l'absence de filles sublimes aux violons, mais cela n'est pas de leur faute). On se situe là un bon cran en-dessous en matière de luxe sonore, voire d'homogénéité (la prestation fort appliquée mais très anonyme d'Arnaud Thorette au second alto ne changeant pas fondamentalement le point de vue, dans des partitions où cette partie n'est guère valorisante). Les Bennewitz, d'abord, ont en la personne de Stepan Dolezal un violoncelliste fort sérieux, juste et à l'écoute de ses partenaires, mais se tenant à distance respectable de la personnalité instrumentale et de l'autorité conductrice de Peter Jarusek (ou a fortiori de Petr Prause ou Michal Kanka). Cela a un impact sur l'équilibre, non pas dynamique mais discursif, plus important qu'on ne pourrait le croire dans des quintettes de Mozart : le fait est que, si l'équilibre harmonique est toujours satisfaisant, une certaine circulation de la tension fait défaut, se limitant aux trois premières portées.
Par ailleurs, ils possèdent avec Jiri Nemecek est primarius souvent inspiré, qui manie avec subtilité son très grand investissement de sorte à ne jamais écraser ses collègues : un primarius vedette mais curieusement non concertant, voilà qui rappelle le modèle stylistique des Prazak de l'ère Remes. C'est fort bien, mais, on s'en doute, Nemecek n'est (encore ?) Remes, et l'ennuyeux est qu'il a une légère tendance à présenter de menues sautes de concentration et de précision rappelant tout autant son illustre aîné. Rien de grave, vraiment, sinon dans le menuet du quintette en ré, souvent approximatif : le genre de détail que l'on fait à tort ou à raison payer plus cher à des espoirs supposés plus infaillibles techniquement. Ce relatif manque de constance reste anecdotique en regard de la quantité de beaux éléments violonistiques démontrés, à commencer par ces gammes de doubles croches dans le premier mouvement du quintette en ut, ou ces montées en grupetto dans son mouvement lent, toutes idéales par leur précision décontractée.
Ces limites plus ou moins gênantes étant posées, l'ensemble garde assez fière allure et bénéficie de voix intermédiaires, elles, parfaitement affûtées. Mieux, en fait : dotées de fortes personnalités musicales, prêtes à tout moment à relayer le discours, à renouveler l'énergie conductrice, à donner chair à la forme. Le violon de Stepan Jezek est particulièrement étonnant non seulement de présence, mais d'à-propos dans la participation à l'élan collectif, dans l'appropriation des levées, de la préparation des changements dynamiques : son jeu pourrait paraître excessivement théâtral pour un second violon de quatuor, mais en réalité ne fait que dénoter une grande intelligence des partitions et une connaissance très bien mise à contribution des parties de ses partenaires. Autant de choses qui procurent un grand plaisir d'écoute et d'observation.
Ces voix intermédiaires, combinés à ce que les extrêmes ont de meilleur, garantissent la plupart du temps une interprétation racée dans son classicisme sobre, ce qui n'est finalement pas si courant dans ce répertoire, souvent tiraillé entre platitude académique et excès divers et variés dans la réappropriation stylistique. Des réussites certaines sont atteintes dans presque tous les mouvements de chacun des quintettes, nonobstant un manque d'éloquence dans l'introduction du ré majeur, due à un violoncelle trop sage. La suite sera en revanche remarquable de verve, de verdeur même, sans une once de trivialité, dans la continuité d'un finale de l'ut majeur assez osé, dans un tempo très rapide fort bien négocié. Dans le détail, les éléments les plus remarquables sont souvent l'apanage des petites transitions supérieurement caractérisées par Jezek et Pinkas. (ce dernier qui, soit dit au passage, est violoniste de formation). A cet égard, le troisième mouvement du KV 515 est spécialement remarquable dans la gestion de la tension, la conviction sans artifice ni volontarisme des relances, la cohésion des sforzandos sans accents grossiers.
Des fragilités, sans doute, une dimension univoque et légèrement anonyme, peut-être. Mais de l'excellence en puissance, aussi.
Théo Bélaud
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