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- Strauss, Don Juan, op. 20 - Szymanowski, Concerto pour violon n°1, op. 35 ; Concerto pour violon n°2, op. 61 - De Falla, Il Sombrero de Tres Picos
- Franck-Peter Zimmermann, violon
- Orchestre Philharmonique de Radio-France
- Christian Vasquez, direction
Ne faisant pas partie des amoureux transis de Szymanowski qui ont sans doute attendu ce concert comme le messie - et l'ont vécu comme son avènement -, je ne saurais être particulièrement disert sur l'évènement certes important constituer par l'exécution des deux concertos pour violon. Ce d'autant moins que je ne place pas du tout les deux œuvres sur le même plan, et ne les apprécie pas non plus au même degré. Le premier s'apparente pour moi à un exercice de style au sens le plus appréciable, affirmant l'objectif d'une émancipation stylistique nationale par le jeu d'alliance avec la France debussyste. L'enjeu était de taille, pour ce qui concernait un des genres encore typiquement monopolisés par le germanisme, qui contrairement au répertoire de piano, de chambre, d'orchestre ou d'opéra n'avait encore guère été infusé par les aspirations impressionnistes, sensualistes ou symbolistes. La réussite sur le plan technique est formel est incontestable, même si je dois avouer ne pas être à l'aise avec le volontarisme émancipateur de cette musique, pourtant objectivement très belle, reconnue à juste titre comme le premier concerto pour violon moderne de tradition non-germanique... et assez généralement considéré comme le meilleur des deux.
Ce n'est pas une grande surprise que la qualité de sa défense par le Philhar', toujours aussi professionnel dans la conquête de partitions rares et par ailleurs rompu à la mise en valeur des écritures les plus chatoyantes. On ne s'attendait pourtant pas forcément à ce que l'orchestre soit poussé à un tel raffinement par la baguette de Chritian Vasquez, sur laquelle je vais revenir : les rétifs à la direction boulezienne dans cette musique auront été d'ailleurs ravis... L'extrême exactitude, fiabilité du violon de Frank-Peter Zimermann n'étonne guère non plus. Quitte à être décidément rabat-joie, j'ajouterais qu'abstraction faite de l'intérêt obligé pour la musique, je ne peux m'empêcher de trouver ce violoniste assez insipide : absolument toujours juste dans les deux sens du terme, phrasant avec une assurance et une sobriété à toute épreuve, tirant parti avec naturel de son superbe Strad' (l'ancien Kreisler !)... mais où sont la tension intérieure du son, l'autorité harmonique de la conduite, ou alors les fêlures ? Ici, la satisfaction d'écouter une prestation de haut niveau dans ces pages là l'emportait : si cela avait été un autre opus 35 ou 61...
Ce manque de personnalité et de lâcher-prise, qui m'avait aussi frappé lors de la création du concerto d'Augusta Read Thomas (déjà avec le Philhar il y a trois ans) m'est apparu curieusement moins gênant dans le second concerto. Parce que j'apprécie beaucoup plus spontanément la partition ? C'est possible, comme il est possible que la partition mette mieux en valeur la droiture assez univoque de ce jeu, qui pouvait sembler scolaire dans les mélismes du premier concerto. Le fait principal de cette interprétation a semblé être la relative mise en sourdine de la dimension folklorique et dansante de l'œuvre, au profit d'une vision plus abstraite et peut-être par ce biais mieux unifiée que l'on aurait pu s'y attendre : en ce sens, l'œuvre est entendue dans sa proximité avec les concertos de Bartók. La neutralité de Zimermann ne contrarie pas trop ici l'épanouissement des superbes thèmes de cette page au fond plus personnelle de Szymanowski, notamment dans les deux derniers mouvements - l'imaginaire violonistique reste tout de même en-deçà de la ferveur du premier mouvement, où c'est d'abord l'orchestre qui force l'admiration par sa souplesse et sa transparence.
Finalement, la chose la moins prévisible de ce concert tout à fait agréable (comme le sont la plupart de ceux du vendredi soir à Pleyel cette saison...) était la réussite certaine des suppléments généreux agrémentant l'hommage à Szymanowski. A peine plus jeune (27 ans) que son compatriote superstar Dudamel, Christian Vasquez est comme ce dernier un pur produit du Sistema vénézuélien - cette planification soviétique de la formation et du recrutement des jeunes issus de toutes les classes sociales, qui est la face moralement présentable à l'Occident capitaliste des méchantes nationalisations du méchant président autoritaire et mégalo du pays. Au moins est-ce un terrain sur lequel il est difficile de ne pas se faire retrouver chacun, puisqu'au fond les fans de Chavez existent chez nous encore moins que n'ont existé les groupies de Staline, et que abstraction faite des problèmes posés par l'explosion incontrôlée du phénomène Dudamel, il faut bien admettre que cela marche. En tout cas, avec cet autre exemple, il y a matière à croire que l'école Abreu existe bel et bien, comme il existe une école Panula : ces traditions de formation tombent suffisamment en déshérence par-delà le monde pour que l'on ne puisse avec le snobisme de ne pas s'en réjouir.
Si son Tricorne faisait un peu pièce rapportée à la suite du 2e Concerto (il aurait été mieux à sa place après le 1er, comme c'était d'aileurs initialement prévu dans le programme), il n'en a pas été brillant sans clinquant. Son Don Juan est pour le moins surprenant de maîtrise formelle - comme Dudamel, et c'est moins étonnant, sa sûreté de bras, sa précision et son sens des plans sont aussi plus que satisfaisants. Nul ne peut prédire ce qu'il produira dans une grande symphonie de quelques époque que ce soit, mais en attendant, Vasquez produit une impression au moins aussi forte que Dudamel quand on le découvrait sous ses meilleurs jours et auspices. Il est en cela plus qu'aidé, porté par un Philhar' d'entrée de jeu montrant de très bonnes dispositions, toutes voiles dehors, et avec des solos plus réussis les uns que les autres. Même Hélène Collerette, assez terne d'ordinaire et que l'on n'attendait pas franchement dans Strauss, tire son épingle du jeu. Du côté des bois, c'est un festival qui donnait envie d'écouter du Strauss toute la soirée (ce qui n'arrive pas souvent) : Thomas Prévost (flûte), Jérôme Voisin (clarinette) et le toujours impeccable Stéphane Suchanek (cor anglais) traversent exemplairement l'épisode centrale, mais comme si souvent, c'est le grand solo de hautbois d'Hélène Devilleneuve qui offre le grand frisson de la soirée. Je n'exagère pas en disant que, tous répertoires confondus, j'ai rarement entendu un solo de hautbois de ce niveau d'inspiration et de cette qualité - et personnalité ! - de son. Il paraît que maintenant le Concertgebouw vient faire son marché chez l'OPRF (rayon trompette) : il est temps de réhabiliter le protectionnisme avant que l'on nous pille les joyaux des rangs suivants !
Je valorise ici la partie du concert correspondant davantage à ma sensibilité, mais les qualités mentionnées quant à la direction et aux prestations instrumentales étaient bien valables pour l'ensemble de ce concert d'excellent niveau, qui a réjoui au plus haut point la part largement majoritaire de l'auditoire venue pour le cœur du programme.
Théo Bélaud
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