Entretien réalisé par Théo Bélaud le 6 juin 2011 à Paris, au Café de Flore
Thé pour Théo, camomille pour Khatia, ce qui montre qu'il ne faut pas se fier aux apparences : l'enfant terrible du piano mondial est une personne étonnamment calme, posée, et par ailleurs extrêmement sympathique.
Nous nous sommes vus une fois déjà, la première fois que je vous écoutais en concert, en 2009 à La Roque d’Anthéron. Ce jour là, vous m’aviez dédicacé le programme en français : vous parlez parfaitement notre langue… comme beaucoup de Géorgiens.
Pas encore parfaitement ! Beaucoup de géorgiens apprennent le français à l’école, en effet, mais il se trouve que cela n’a pas été mon cas. Je ne me suis mise au français qu’il y a cinq ans, par cours particuliers.
Vous êtes douée pour les langues, et parlez donc couramment géorgien, russe, allemand, anglais, et français : pourquoi avoir choisi de vivre en France, après vos années à Vienne et en Suisse ?
Les musiciens apprennent facilement les langues, en général… Je me suis installée à Paris tout récemment, en mars de cette année. Par choix et vraiment par amour de la ville. J’ai interrompu mes études à l’Université de Vienne cette année, et ne retourne plus là-bas que pour voir Oleg Maisenberg de temps en temps.
Votre parcours a toujours été assez particulier. Formée à Tbilissi, vous n’êtes pas rentrée ensuite dans le moule (post)-soviétique, n’êtes pas allée à Moscou, ni n’avez passé le Concours Tchaikovsky…
Effectivement, à 17 ans, après mon prix au Concours de Tbilissi, j’ai eu l’opportunité de partir à Vienne chez Maisenberg. Je n’ai pas hésité une seconde, je voulais travailler avec lui. Moscou ? Finalement, maintenant, beaucoup de jeunes pianistes des ex-républiques soviétiques ne rêvent plus forcément d’y aller, peut-être parce que le prestige, l’aura des professeurs ne sont plus tout à fait les mêmes qu’avant : on rêvait d’entrer dans la classe de Neuhaus, mais maintenant ?
Il y a aussi deux autres raisons pour lesquelles Tchaikovsky, le conservatoire et le concours n’étaient pas un objectif pour moi. D’abord, le contexte politique est délicat en ce moment entre nos deux pays, et en Géorgie, cela n’est plus évident pour un jeune de partir étudier à Moscou.
Ensuite, c’est aussi une question de mentalité, de forme de l’ambition. Je voulais faire une carrière, mais je n’aime pas les concours, la logique de préparation, de travail sur le répertoire normé par la perspective des concours. Et pour ce qui concerne plus particulièrement le concours, il y a un vrai problème depuis une décennie, il faut beaucoup de courage pour se lancer dans Tchaikovsky en sachant que le climat y est si tendu, que les controverses sur les jurys prennent chaque fois tant de place : la compétition avec cette dimension en plus, c’est trop pour moi.
C’est pourtant un concours, l’un des cinq ou six « grands », qui a clairement lancé votre carrière. Le Rubinstein était votre premier ?
Non, j’avais passé Bruxelles – Reine-Elisabeth – avant.
Et ?
Éliminée au premier tour ! Je ne prenais sans doute pas cela très au sérieux, et à Tel-Aviv probablement pas davantage, et je ne pensais franchement pas aller bien loin dans le concours, en tout cas pas en finale. Je n’étais d’ailleurs absolument pas préparée pour celle-ci.
Pourtant, vos prestations des derniers tours, en récital et concerto, ont beaucoup contribué à vous faire connaître, via les vidéos… y compris pour l’accident fameux dans le finale du 2e Concerto de Brahms ! Que s’est-il passé ?
On me le demande souvent, et en général les gens croient que j’ai brillamment rattrapé une erreur du chef d’orchestre… ce que je comprends très bien, car moi-même, sur le moment, je pensais que le chef s’était trompé dans sa levée : en réalité, c’était de ma faute, je ne me suis même pas rendu compte que j'avais un trou de mémoire, il suffit de regarder avec la partition pour s’en apercevoir (NdR. Effectivement, une grosse trentaine de mesures sont sautées...). Je n’étais simplement pas assez bien préparée : c'est en partie un souvenir douloureux, mais si vous dites que cela m'a attiré la sympathie du public... J’ai choisi le Brahms parce que je ne l’avais jamais joué et que j’avais envie de me faire plaisir . Il y avait aussi le concerto en fa mineur de Chopin dans le choix proposé aux candidats, concerto que je connaissais beaucoup mieux : mon professeur m’a dit que si je voulais gagner le concours, je n’avais qu’à le jouer… Tant pis !
En fait, une très grande partie de mon programme avait été apprise trop tardivement pour le concours, j’ai joué à Tel-Aviv beaucoup de choses pour la première fois devant un vrai public, y compris la Fantaisie de Schumann.
Ce qui explique que votre interprétation de celle-ci a beaucoup évolué depuis deux ans. Le premier mouvement, en particulier, que vous jouez nettement plus lentement, en caractérisant beaucoup plus les épisodes.
Quand j’ai monté la Fantaisie, j’étais complètement amoureuse de cette partition que je commençais à jouer, et je l’interprétais à l’instinct, avec toute la fraîcheur de la découverte. Au bout d’un certain temps, un an peut-être, j’ai senti que cette fraîcheur disparaissait, et que je jouais moins bien. Je l’ai alors moins jouée, et tenté de redécouvrir l’œuvre, de repartir d’autre chose, de nouveau.
De plus creusé, abstrait ?
C’est possible : j’étais d’abord partie d’une rencontre passionnée avec l’œuvre, quand l’habitude s’est installée, j’ai dû chercher à me la représenter autrement. En tout cas, c’est ce qui m’a amenée à jouer la Fantaisie à peu près comme vous l’avez entendue à Orsay l’automne dernier.
Quoiqu’il en soit, cette Fantaisie, ce Brahms, ainsi que votre superbe sonate en ut mineur de Haydn ont fait de vous la favorite du public israélien, qui vous a attribué son prix, et même si vous n’aimez pas les concours, le Rubinstein a vraiment lancé votre carrière.
C’est indéniable, j’ai découvert les grandes salles, l’attente du public d’un coup, après Tel-Aviv. Rétrospectivement, c’est un beau souvenir, et puis, jouer avec le Philharmonique d’Israël était très gratifiant : ils ont des bois uniques, superbes. En fait, c’était un souvenir tellement agréable que je suis revenu à Tel-Aviv cette année pour y re-jouer et suivre le concours. Vous avez écouté des choses ?
Pas beaucoup. J’ai principalement regardé les prestations de Dinara Klinton, qui est l’un des trois ou quatre jeunes pianistes que j’apprécie le plus avec vous.
Figurez vous que je l’ai rencontrée là-bas ! C’est une personne adorable, n’est-ce pas ? J’espère qu’elle fera carrière.
Pour revenir au bénéfice du concours, effectivement, c’est juste après que j’ai été invitée à Carnegie Hall, et qu’ensuite j’ai été choisie pour la série BBC New Generation Artists, qui m’a offert trois concerts au Wigmore Hall. Puis mes débuts à La Roque que vous avez vus.
Mais vous aviez déjà joué en France longtemps avant ?
J’ai fait mes débuts parisiens il y a sept ans, à Auteuil, ensuite j’ai donné mon premier récital au Louvre, où je présentait d’ailleurs pour la première fois en public la 7e Sonate de Prokofiev.
Ce genre de première fois, avec de tels monuments de Schumann, Prokofiev ou d’autres, ne vous effraie pas, apparemment. On a d’ailleurs l’impression que rien ne vous effraie, c’est un trait de caractère particulièrement marqué chez vous.
On me le dit souvent. Je ne sais pas si c’est vrai. Je distingue l'appréhension vis-à-vis du public, qui ne m'est pas étrangère, d'autant que je joue depuis peu de temps dans les plus grandes salles, et puis la peur face aux grandes œuvres, la peur de s'investir dans l'interprétation, qui effet ne m'a jamais empêché de jouer... y compris et surtout en public, car le choix n'est pas possible au concert : il faut aller au bout de ce qu'on croit bon à ce moment, qui ne sera peut-être pas la même chose que le lendemain.
Contrairement au studio ?
Oui, pour moi cela n’a rien à voir. Même si mon disque Liszt était ma première vraie session d’enregistrement (en-dehors de la musique de chambre), je savais que cela devait se passer très différemment d’un concert. Pourtant, j’ai enregistré la Sonate de Liszt en une journée, deux prises d’une traite, et quelques retouches. Cela ressemble au live mais est incomparable. La façon dont je joue sur ce disque correspond à une volonté, celle de proposer mon idée de la sonate en si mineur. D’une certaine façon, il y a davantage des choses pensées pour mettre cette idée en lumière. C’est le genre de choses que je laisse de côté au concert.
Réécoutez-vous vos récitals enregistrés ? Non, surtout pas, justement pour cette raison. Essayer d'y retrouver les mêmes représentations, concepts interprétatifs d'une soirée à une autre m'est impossible, et ne pourrait que me rendre... folle. Imaginez, alors, si j'essayais de les retrouver a posteriori. Au concert, j’improvise, en ce sens que je suis mon oreille, tout simplement, et rien d’autre. Et ce que mon oreille a envie d’entendre change forcément d’un soir à l’autre. Il faut choisir, l’idée, qui n’est pas censée trop bouger, ou l’oreille. Je ne peux pas bien jouer sans être attentive à mon oreille.
Oui, pour moi cela n’a rien à voir. Même si mon disque Liszt était ma première vraie session d’enregistrement (en-dehors de la musique de chambre), je savais que cela devait se passer très différemment d’un concert. Pourtant, j’ai enregistré la Sonate de Liszt en une journée, deux prises d’une traite, et quelques retouches. Cela ressemble au live mais est incomparable. La façon dont je joue sur ce disque correspond à une volonté, celle de proposer mon idée de la sonate en si mineur. D’une certaine façon, il y a davantage des choses pensées pour mettre cette idée en lumière. C’est le genre de choses que je laisse de côté au concert.
Réécoutez-vous vos récitals enregistrés ? Non, surtout pas, justement pour cette raison. Essayer d'y retrouver les mêmes représentations, concepts interprétatifs d'une soirée à une autre m'est impossible, et ne pourrait que me rendre... folle. Imaginez, alors, si j'essayais de les retrouver a posteriori. Au concert, j’improvise, en ce sens que je suis mon oreille, tout simplement, et rien d’autre. Et ce que mon oreille a envie d’entendre change forcément d’un soir à l’autre. Il faut choisir, l’idée, qui n’est pas censée trop bouger, ou l’oreille. Je ne peux pas bien jouer sans être attentive à mon oreille.
Boris Berezovsky a souvent fait des déclarations assez similaires, pour dire que c’est l’oreille qui guide l’interprétation, et que c’est d’abord elle, l’oreille, qui doit être virtuose.
Il a complètement raison. Du reste, je l’admire beaucoup, parmi les pianistes en activité, il fait partie des quelques uns que j’aime le plus.
Vous l’avez rencontré une fois, je crois.
Oui, l’été dernier, à la Grange de Meslay.
Justement, je vais l’écouter à la Grange à la fin du mois. Un très beau week-end, il y a aussi Gutman et Virsaladze, et le Quatuor Pavel Haas.
Tiens, mais je joue avec le Quatuor Pavel Haas ! Nous avons monté une fois le Quintette de Chostakovitch, et nous allons le rejouer plusieurs fois cet été. C’est un formidable quatuor.
Il y a un certain nombre de ressemblances entre Berezovsky et vous, et on pourrait même imaginer qu’avec vos moyens et votre rapport très intuitif à l’interprétation, vous pourriez suivre le même genre d’évolution…
Quelque chose de plus en plus libre et allégé, n’est-ce pas ?
Oui, où l’harmonie prime sur le rythme et la mélodie. Vous avez ce don comme lui.
C’est un très beau compliment. Je suis d’accord, l’harmonie est la chose la plus importante et doit guider la façon dont on traite le rythme et la mélodie. J’ai eu la chance que cette approche de la musique soit toujours évidente pour moi. En Géorgie, quand j’étais petite, il était inconcevable de chanter une chanson traditionnelle, ou quoi que ce soit, sans que deux autres voix ne viennent harmoniser. C’est vrai pour la plupart des Géorgiens : nous ne connaissons pas la monodie.
Je crois que cela vient de notre histoire. Notre polyphonie traditionnelle est l’une des plus anciennes du monde, la Géorgie étant d’ailleurs une des nations chrétiennes les plus anciennes. Or, durant la période byzantine, le peuple géorgien a dû lutter pour continuer à pratiquer ces chants alors qu’on voulait l’en priver, et pour continuer à les transmettre de génération en génération. Il faut croire que ce rapport viscéral à la polyphonie continue de couler dans nos veines aujourd’hui.
Un autre aspect qui m’a beaucoup aidée à avoir une écoute globale des partitions est la collaboration avec les orchestres. Pas en concerto, dans l’orchestre : de Tbilissi à Verbier, il m’est souvent arrivé d’y jouer.
Donc, j’imagine vous avez joué le vrai Petrouchka avant de monter les trois mouvements pour piano ?
Oui, dans des conditions magnifiques, c'était Temirkanov qui dirigeait : et cela m'aide sans doute aujourd'hui à progresser dans les Trois mouvements, dans lesquels je cherche toujours, je reste perpétuellement insatisfaite (!). Mais j'ai joué plein d'autres choses dans l'orchestre, par exemple la 7e Symphonie de Chostakovitch, sous la direction de Valery Gergiev. J’ai même joué la 2e Symphonie de Mahler !
A…
… l’orgue, oui ! Peu importe, j’aurais pu jouer de n’importe quoi, l’important était qu’à chaque fois j’entendais ce qu’entendent les musiciens d’orchestre tous les jours, ce qui donne une perspective très différente sur l’écriture, et sur la façon d’écouter et de jouer avec les autres.
D’où, aussi, votre pratique très assidue de la musique de chambre. Outre votre collaboration avec les Pavel Haas, je connais votre trio avec Gidon Kremer et Giedre Dirvanauskaite, et bien sûr votre duo avec Renaud Capuçon, avec qui vous avez donné trois superbes récitals l’année dernière au Louvre et à Saint-Denis. Comment cette rencontre s’est-elle faite ?
A Monte-Carlo, un peu par hasard. Renaud préparait son festival à Annecy, nous avons essayé la sonate de Franck, que vous nous avez donc entendu jouer trois fois : je ne l'avais jamais montée avec personne jusque là, et dès la première lecture, tout fonctionnait parfaitement, aucune mésentente ni décalage, donc, nous avons tout de suite su qu’il fallait poursuivre.
Votre principal professeur à Vienne, Oleg Maisenberg, est un des plus grands pianistes chambristes vivants, qui a avant vous été le grand partenaire de Gidon Kremer : outre leurs fameux Schubert, ils ont aussi laissé un grand live de la sonate de Franck : mais vous n’avez donc pas travaillé ce répertoire avec lui ?
Eh non. Avec lui j’ai travaillé le répertoire soliste ; et en-dehors du travail devant le piano, comme Maisenberg était assez imprévisible dans son enseignement, j’ai au moins autant appris avec lui durant des cours très précis et techniques, que d'autres cours qui se transformaient en de longues discussions, comme ici, au café ! Ceci dit, je l’ai bien sûr aussi écouté, il donne encore des concerts assez souvent en Autriche, et c’est effectivement un chambriste magnifique.
Votre principal professeur à Vienne, Oleg Maisenberg, est un des plus grands pianistes chambristes vivants, qui a avant vous été le grand partenaire de Gidon Kremer : outre leurs fameux Schubert, ils ont aussi laissé un grand live de la sonate de Franck : mais vous n’avez donc pas travaillé ce répertoire avec lui ?
Eh non. Avec lui j’ai travaillé le répertoire soliste ; et en-dehors du travail devant le piano, comme Maisenberg était assez imprévisible dans son enseignement, j’ai au moins autant appris avec lui durant des cours très précis et techniques, que d'autres cours qui se transformaient en de longues discussions, comme ici, au café ! Ceci dit, je l’ai bien sûr aussi écouté, il donne encore des concerts assez souvent en Autriche, et c’est effectivement un chambriste magnifique.
Il se trouve que nous allons maintenant jouer avec Renaud Capuçon les trois sonatines de Schubert.
Maisenberg, comme Koroliov, fait partie de ces grands pédagogues russes assez atypiques. Vous n'êtes pas allée non plus à Moscou, et possédez pourtant une technique extraordinairement solide et peu digitale : l'avez-vous acquise à Tbilissi ? Oui et non : mon premier professeur non plus n'était pas passé dans le moule soviétique. Mais il avait un credo qui était l'économie maximale des gestes. Pas que des doigts, de tous les gestes. Il m'a notamment appris, très jeune, à toujours trouver le chemin le plus simple dans les déplacements, à toujours trouver le mouvement le plus facile et détendu. Pour ce qui est des doigts, j'ai la chance d'avoir une main assez peu musclée, mais souple, donc je n'ai effectivement pas besoin d'articuler beaucoup. Mais le grand mérite de l'enseignement que j'ai reçu est de ne pas m'avoir imposé de règles sur ces sujets, mais de me faire trouver ce qui convenait le mieux à la morphologie. C'est une méthode qui, à mon sens, devrait s'imposer à toutes les règles pré-conçues dans l'enseignement du piano.
Maisenberg, comme Koroliov, fait partie de ces grands pédagogues russes assez atypiques. Vous n'êtes pas allée non plus à Moscou, et possédez pourtant une technique extraordinairement solide et peu digitale : l'avez-vous acquise à Tbilissi ? Oui et non : mon premier professeur non plus n'était pas passé dans le moule soviétique. Mais il avait un credo qui était l'économie maximale des gestes. Pas que des doigts, de tous les gestes. Il m'a notamment appris, très jeune, à toujours trouver le chemin le plus simple dans les déplacements, à toujours trouver le mouvement le plus facile et détendu. Pour ce qui est des doigts, j'ai la chance d'avoir une main assez peu musclée, mais souple, donc je n'ai effectivement pas besoin d'articuler beaucoup. Mais le grand mérite de l'enseignement que j'ai reçu est de ne pas m'avoir imposé de règles sur ces sujets, mais de me faire trouver ce qui convenait le mieux à la morphologie. C'est une méthode qui, à mon sens, devrait s'imposer à toutes les règles pré-conçues dans l'enseignement du piano.
Et la puissance ? Vous êtes capable de produire des dynamiques inaccessibles à la plupart des hommes, j’ai des souvenirs effarés de certains fortissimos dans la 2e Sonate pour violon de Bartók ou dans Petrouchka, alors que le son restait étonnement dense et peu dur ; pourtant, je ne crois pas que vous pesiez 120 kg.
Je ne crois pas, effectivement, mais si c’est le cas, je ferais un régime ! Plus sérieusement, je pense que la puissance pure provient essentiellement de l’énergie, de l’adrénaline. Je suppose que je suis très énergique, en tout cas en public. Et pour le son, comme je vous l’ai dit, j’ai la chance d’avoir une main qui amortit naturellement.
J’ai joué les Cinque Variazioni de Berio, notamment lors de mes débuts parisiens, des études de Ligeti, et je me prépare à jouer Incises de Boulez. Je jouerais volontiers davantage de créations, mais il faut que je prenne le temps de trouver ce que j’ai vraiment envie d’apprendre, pas seulement ce qui me plait à l’écoute.
Je l’ai joué, quand j’étais petite ! Il faudrait que je réapprenne, je ne me souviens que de la toccata.
J’aimais beaucoup en jouer durant mes études, et je reprendrais volontiers : tout le problème est de trouver le ou les bons chanteurs, ce qui est beaucoup plus difficile que de rencontrer des partenaires de musique de chambre. Le choix est plus limité et surtout, je voudrais jouer avec un chanteur qui s’intéresse au piano et à l’harmonie, avec qui l’on puisse construire l’interprétation de la même façon qu’avec un quatuor ou violoniste. Ce n’est pas facile : le public vient généralement écouter le chanteur, qui lui-même n'est le plus souvent qu'à l'écoute de sa propre voix, et tout incite à ne pas accorder au piano l’importance qu’il a objectivement sur la partition.
Je vais jouer de plus en plus en France : Saint-Denis la semaine prochaine, Strasbourg le lendemain avec Renaud Capuçon, puis Montpellier, Toulon, Sceaux, et bien sûr La Roque, avec ma sœur… Je vais donner bientôt deux concertos très importants pour la première fois : 3e Concerto de Rachmaninov à Verbier (*) cet été, sous la direction de Neeme Järvi, et mon premier concerto de Beethoven.. le premier : j’espère bientôt jouer le troisième, qui est mon préféré. Et comme vous le savez, je ferai mes débuts à Pleyel cet automne, dans le 2e de Chopin avec Paavo Järvi et l’Orchestre de Paris.
Théo Bélaud
Vous écoutez, je crois, beaucoup les grands maîtres anciens du piano : avez-vous des modèles ?
Pas dans la mesure où j’admire beaucoup de pianistes effectivement plutôt anciens, sans faire de cette admiration un idéal à atteindre. Par exemple, je n’aime pas forcément Horowitz partout, mais ce qu’il a fait dans Schumann et surtout Scarlatti est sublime, presque inégalable : pour le reste, je le prends comme il était, et c'est ainsi pour quantité de pianistes. Si je ne devais garder qu’un pianiste dont je continuerais à écouter tout ce qu’il a enregistré, ce serait Rachmaninov, sans hésitation.
Maintenant, j’écoute en fait beaucoup moins de piano enregistré qu’avant : j’écoute surtout du répertoire symphonique et de la musique de chambre chez moi, et je me mets doucement à écouter de plus en plus d'opéra.
Vous apparaissez, avec tous vos dons pianistiques et votre personnalité, comme un des grands pianistes romantiques de demain. Qu’en est-il des autres répertoires, classiques, français, contemporain… ?
Dans le répertoire classique, j’ai joué plusieurs concertos de Mozart, le 17e, le 18e, le 24e, le 25e, , bientôt le 23e. Je vais d’ailleurs faire toute une tournée Mozart avec Paavo Järvi la saison prochaine. J’adore aussi jouer le concerto en ré majeur de Haydn, que j’ai encore donné récemment à Toulouse. En récital je donne quelques sonates de Scarlatti, que j’adore, mais s’il y a bien un compositeur qu’il est difficile de jouer après Horowitz, c’est lui…
Enfin, on m’a dit assez souvent que je devrais jouer Debussy, mais je n’ai pas encore décidé quelles œuvres apprendre…
Vous devriez jouer Pour le piano.
La musique de chambre, votre duo avec votre sœur Gvantsa, il ne manque que le lied…
Pour tout le reste, votre carrière semble maintenant inarrêtable, vous avez cette saison joué vos programmes de récitals au Concertgebouw, au Musikverein, à la Philharmonie de Berlin, Tchaikovsky avec le Philharmonie de Saint-Petersbourg… et maintenant ?
le petit concertorialiste by Théo Bélaud est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage des Conditions Initiales à l'Identique 2.0 France.
* Entre temps, cette première fois s'est avancée de quatre jours pour se tenir à Tbilissi, le 14 juillet;