V
- Pontoise, Église Notre-Dame , le vendredi 16 septembre.
- Zelenka, Missa Votiva en mi mineur, ZWV 18
- Gema Bertagnolli, soprano
- Kamila Mazalova , alto
- Sebastian Monti, ténor
- Tomaš Kral, basse
- Collegium 1704
- Collegium Vocale 1704
- Vaclav Luks, direction
La 26ème édition du Festival baroque de Pontoise s’est ouverte avec l’exécution de la Missa Votiva de Jan Dismas Zelenka par l’ensemble 1704 venant de la République tchèque. Assez courageuse programmation dans la mesure où la musique de Zelenka, bien que plus et mieux enregistrée et diffusée depuis une grosse dizaine d’années, demeure très méconnue des mélomanes, et on ne parle même pas de l’Honnête Homme lisant Télérama et le Monde !
Bien que le gestionnaire de ce blog n’aime guère les approches historicistes, laissez moi quand même vous conter où se situe cette messe dans l’œuvre de Zelenka. Ce dernier, originaire de Bohême, arrive à Dresde vers 1710. Il a donc déjà une trentaine d’années. Petit à petit, de violoniste au sein de la Hofkapelle du roi de Pologne et électeur de Saxe, il se fait une place de compositeur , essentiellement de musique d’église, dans une Cour convertie au catholicisme. Il succède à Heinichen en 1729 en tant que directeur de la musique à la chapelle royale. S’épuisant au travail, Zelenka connaît plusieurs alertes de santé, une première fois en 1733, puis en 1739. C’est pour remercier Dieu de l’avoir aidé à recouvrer une activité presque normale que Zelenka composera cette Missa Votiva dont la création fut sans doute donnée le 2 juillet 1739. C’est donc un peu l’équivalent du Heiliger Dankgesang de Beethoven pour le compositeur de Bohême.
La Missa Votiva est l’une des plus longues messes de Zelenka, durant environ soixante-dix minutes. Elle requiert quatre solistes mais seule la partie de soprano est grandement développée, ce qui justifie en partie que le chef Vaclav Luks ait confié les autres parties à des membres du chœur. L’orchestre est à cordes, plus deux hautbois et un continuo comprenant orgue, violoncelle, contrebasse, basson et théorbe. Le modèle suivi par Zelenka est celui de la grande messe napolitaine, avec les cinq grandes parties principales (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei) subdivisées en numéros d’écriture contrastée. Ce sont ainsi vingt mouvements qui voient se succéder pièces chorales dans le style du concerto, airs qui semblent tirés d’opéras, morceaux dans le stilo antico. Dans son ensemble, cette messe est un pur chef d’œuvre de fraîcheur, d’inventivité, de contrastes. Elle constitue une formidable passerelle entre la messe napolitaine du début du 18ème siècle et les premières œuvres du genre composées par Joseph Haydn. C’est dire s’il y a matière à œuvrer, du style ancien au galant, du baroque concertant aux arias les plus ornées.
Depuis quelques années, le Collegium 1704 et son chef, Vaclav Luks, ont beaucoup œuvré pour une meilleure reconnaissance de l’œuvre de Zelenka. Quelques enregistrements ont été le reflet de ce travail et, d’année en année, les directeurs de festival de musique ancienne de France et de Navarre ont régulièrement inscrit Collegium 1704 dans leurs programmations. Cette année, de la Chaise-Dieu à Ambronay, de Sablé à Pontoise en passant par Arques-la-Bataille, les tchèques se seront produits partout et, d’après les échos recueillis, avec beaucoup d’enthousiasme. Est-il permis d’émettre quelques sérieux bémols dans ce concert de louanges adressé à cet ensemble ?
Bâtir une notoriété sur une terra incognita est certes méritoire mais aussi quelque peu facile. La découverte d’un répertoire par un public amène souvent ce dernier à confondre les plaisirs liés à la beauté de l’œuvre et ceux venant de la qualité de l’interprétation. On en est tous passé par là dans notre découverte de certains répertoires. Les madrigaux de Monteverdi et de Gesualdo ont longtemps été connus des discophiles par les enregistrements de la Societa Cameristica di Lugano ou du Quintetto Vocale Italiano. Qui écouterait ces enregistrements aujourd’hui alors que nous avons abondance de biens dans ce domaine ? C’est un peu le sort que je pressens pour ce que le Collegium 1704 produit. C’est très solide sur le plan instrumental, un peu moins sur le plan choral, très quelconque en ce qui concerne les solistes. Mais, surtout, la conception de Vaclav Luks se situe très loin de notre vision du baroque, et notamment de ce baroque-là : un baroque de 1739 en terres catholiques entourées par le protestantisme.
Sur le plan architectural, on est pleine période rococo. Il suffit d’entrer dans certaines églises de Dresde, en Saxe, en Bohême, sans même parler de Wies, Vierzehnheiligen, Ottobeuren, ou Wilhering pour se rendre compte que la mode est à la prodigalité, au foisonnement, aux sinuosités, aux contrastes. Or, ce que propose Collegium 1704 est droit comme un I, aussi bien sur le plan rythmique que sur celui des tempi. Tout est en pleine lumière, souvent joué ou chanté trop fort ; le continuo pèse une tonne. Tout est hautement prévisible une fois qu’on a entendu le début : des tempi rapides, un rythme scandé (on voit et entend les barres de mesure) et qui ne varie pas d’un iota. Bref, on croirait, la beauté des voix et une certaine religiosité en moins, ce qu’un Karl Richter aurait fait s’il avait daigné s’intéresser aux instruments d’époque et à Zelenka. Et cette conception confirme malheureusement les visions teutonnes et énervées de la Resurrezione (Pontoise 2009) et du Messie (Arques 2011) de Händel entendues par le même ensemble. Il suffit d’ailleurs de confronter la version discographique donnée de cette Missa Votiva par les mêmes au festival de Sablé 2007 (dans une bouillie sonore signée Zig Zag territoires) et la belle vision donnée par les troupes de Frieder Bergius (Carus) pour commencer à mesurer ce qui pourrait et devrait être restitué dans ce magnifique répertoire.
La partie soliste la plus importante est celle de soprano, tenue par Gema Bertagnolli, qui eut une fâcheuse tendance à confondre vocalises baroques et donizettiennes. Si le Christe fut encore correct, le Qui tollis et le Benedictus virent la chanteuse italienne en mauvaise posture. Tomas Kral tira son épingle dans le Quoniam. L’alto et le ténor, sortis du chœur, firent de leur mieux mais ce mieux était encore insuffisant pour rendre notamment la beauté de l’Et incarnatus est.
Il est sans doute trop tard pour que Nikolaus Harnoncourt nous donne un jour une interprétation proche de notre idéal. En attendant, espérons que Zelenka ne sera pas laissé dans les seules mains d’un ensemble et d’un chef sympathiques mais très en deçà de ce que cette musique devrait requérir.
Nous reviendrons sur le festival baroque de Pontoise à l’occasion des Leçons de ténèbres de Couperin par l’ensemble Pierre Robert et des Goldberg très attendues de Bertrand Cuiller (mi-octobre).
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