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- Paris, Orangerie du Parc de Bagatelle, le jeudi 7 juillet 2011
- Liszt, 1ère Année de pèlerinage : la Suisse, S. 161 - Chopin, Sonate n°2 en si bémol mineur, op. 35
- Mûza Rubackyte, piano
- La Roque d'Anthéron, Parc du Château de Florans, le dimanche 7 août 2011
- Liszt, 1ère Année de pèlerinage : la Suisse, S. 161 ; 2e Année de pèlerinage, : l'Italie ; S. 161 ; 3e Année de pèlerinage, S.163
- Nicholas Angelich, piano
- Lurs, Chapelle Notre-Dame-des-Anges, le mardi 9 août 2011
- Chopin, Ballade n°1 en sol mineur, op. 23 ; nocturne n° 10 en la bémol majeur, op. 32/2 ; Sonate n°2 en si bémol mineur, op. 35 ; études en la bémol majeur, fa mineur & mi mineur, op. 25/1, 2 & 5 ; Ballade n°3 en la bémol majeur, op. 47; 4 mazurkas op. 30 ; Polonaise n°6 en la bémol majeur, op. 53
- Jérôme Granjon, piano
- La Roque d'Anthéron, parc du Château de Florans, le mardi 16 août 2011
- Chopin, 12 Études, op. 10 ; 3 Nouvelles études, op. posth ; 12 Études, op. 25
- Louis Lortie, piano
- Paris, Serres d'Auteuil, le vendredi 26 août 2011
- Liszt, 2e Ballade en si mineur, S. 171 ; Nuages gris, S. 199 ; Harmonies poétiques et religieuses, S. 173 : n°7, Funérailles - Dutilleux, 3 préludes, op. 3 : n°3, Le jeu des contraires - Schumann arr. Liszt, Widmung, S. 566 - Schubert arr. Liszt, Staendchen, S. 560/7 - Wagner arr. Liszt, Isoldens Liebestod, S. 447
- Lise de la Salle, piano
- Paris, Serres d'Auteuil, le vendredi 26 août 2011
- Liszt, 2e Ballade en si mineur, S. 171 ; Nuages gris, S. 199 ; Harmonies poétiques et religieuses, S. 173 : n°7, Funérailles - Dutilleux, 3 préludes, op. 3 : n°3, Le jeu des contraires - Schumann arr. Liszt, Widmung, S. 566 - Schubert arr. Liszt, Staendchen, S. 560/7 - Wagner arr. Liszt, Isoldens Liebestod, S. 447
- Lise de la Salle, piano
Chapelle Notre-Dame-des-Anges, Lurs (Alpes de Haute-Provence) |
Francophilie ou -phonie au programme de ce (f)estival forcément lisztien, plans com's obligent. C'est cependant un pur hasard qui m'a fait écouter d'un bout à l'autre de l'été les hommages romantiques de pianistes français (Angelich, de la Salle, Granjon), québécois (Lortie) ou quasi française d'adoption (Rubackyte). C'est aussi qu'aucun de ces pianistes n'est mauvais à mes yeux, et, ce n'est plus guère un mystère, que j'ai une affection particulière pour l'un(e) d'entre eux. Et ce, bien plutôt qu'une envie inassouvie d'enchaîner, chose ô combien originale, les récitals de piano romantique qui, même quand il s'agit de monographier Liszt, ne se risquent jamais à une trop grande originalité, et proposent globalement ce que l'on entend chaque année, au détriment en particulier du Liszt le plus tardif et dépouillé, aussi peu vendeur a priori qu'impressionnant a posteriori, pour qui ne court pas les récitals de Ranki - dont la prestation de son duo ne saurait être considérée ici, tout comme le récital d'Elisso Virsaladze aux trois superbes Liszt.
Tant pis, faisons avec ce que l'on a. L'amusant, symptomatique ou non, je ne saurais pas le dire, est qu'au sortir de l'éprouvante année Chopin ayant précédé, nos pianistes ont tous réussi, à l'exception de Nicholas Angelich, à diluer - le terme est critiquement neutre - un peu ou beaucoup de Chopin dans leur potion lisztienne. En bis pour Lise de la Salle, en consistant complément de programme pour Rubackyte, et comme vous pouvez le lire dans les programmes, carrément en sympathique subversion au conformisme latent pour Lortie et Granjon, le premier gratifiant tout de même son public d'un triple rappel... lisztien : après tout, lui vient d'enregistrer l'intégrale des Années de Pèlerinage, comme Angelich il y a huit ans, qui en avait fait un passage obligé de La Roque, et remettait le couvert pour le bicentenaire.
Commençons donc par ces courageux encyclopédistes. Donnée deux fois au début de la dernière décennie, l'intégrale des Années de Nicholas Angelich avait laissé de forts beaux souvenirs aux mélomanes - je n'avais pour ma part entendu qu'une belle 2e Année, en 2004 à Lille. Depuis cette époque pourtant pas si éloignée, mais comme dans nombre de répertoires, le jeu du pianiste franco-américain a perdu en vivacité et en variété de caractère : le charme de son instabilité rythmique s'est dépourvu d'une partie de sa justification, qui était l'absence de volontarisme, voire une quasi-passivité quand il jouait avec partition comme, justement, dans le grand voyage lisztien. Si le piano reste assez beau, toujours moelleux et suffisamment projeté, il est devenu plus univoque, proposant toujours le même type d'articulation harmonique, sans trop de fantaisie et surtout d'aspérité : quand Angelich attaque Orage, le résultat est assez propre et cohérent, mais cela ressemble presque à un rôle de composition. Il en va de même dans la Dante, qui, me semble-t-il, osait davantage de polychromie sonore, et de bifurcations discursives assumées il y a sept ans.
Au-delà de ces cas qui sont d'espèce, l'ensemble oscille entre beaux moments, dans le sens assez exact d'un moment musical agréable, et sas d'ennui plus ou moins longs. Dans la première catégorie rentre une large part de la 1e Année : la Chapelle de Guillaume Tell, lyrique et touchante en dépit d'une battue instable, la Pastorale, Eglogue, tous deux à la limite du fleur bleu, mais y flirtant avec finesse. La vallée d'Oberman s'est considérablement ralentie à l'instar de tout le cycle, mais ici l'échelonnement intimiste très tenu des dynamiques parvient à convaincre de sa force de concentration, et finalement à émouvoir : ce qui fonctionnera moins bien dans les cloches de Genève, presque pointillistes et dont le discours s'effrite de façon frustrante. Malheureusement, le même phénomène confinant à l'anecdote se manifeste dans les trois sonnets de la 2e Année, en particulier dans les 104 et 123, dénervés et versant dans une complaisance picturale presque ravéliennne, pour moi assez horripilante. Là encore, la frustration est grande, car Angelich a toujours bien joué les pièces précédentes de l'Italie, en particulier la Canzonetta, pleinement tendre sans se départir de son profond sérieux. Même Sposalizio, où Angelich passait après rien moins que Virsaladze, s'écoute sans déplaisir, et à cet égard, je me dis rétroactivement que les sonnets de Pétrarque sont représentatifs de ces trop nombreuses pages, lisztiennes ou autres, où ce pianiste gâche ses moyens à force d'esthétisme.
Dans la 3e Année, c'est une autre forme de complaisance qui parfois lasse, alors que l'on ne demande pas mieux que de se laisser porter, oreilles en sympathie, vers le terme de l'aventure. Là encore le ralentissement comme procédure montre ses limites : le jeu a beau éviter le prosaïsme sonore, il n'offre pas une densité harmonique suffisante pour défendre cette vision uniformément sombre et sur-creusée de pièces déjà si délicates à tendre que les Cyprès, la marche funèbre ou Sursum corda - sur ce dernier, le contraste avec les deux exécutions certes grandioses mais aussi et surtout émaciées de Gabor Csalog était frappant. Rien de tout cela n'aura été mauvais, on s'en doute, mais le frisson pourtant aussi désiré que possible ne m'a jamais parcouru l'échine. Au mieux la charge en caractérisation des Jeux d'eaux (d'ailleurs bissés) intéresse-t-elle par son refus d'une symbolique trop naïve, d'une représentation de premier degré du titre de la pièce : cela ne suffit à compenser le premier degré pas loin d'être omniprésent dans l'exécution de l'essentiel de cette troisième année. Au total, subsistent indéniablement des instants gratifiants, et naturellement, la performance au sens le plus noble. Mais il est aussi permis de penser que cette sorte de neutralisation studieuse, appliquée (à cause des caméras et micros, peut-être) rate la progression dramatique attendue à une telle soirée.
Dans le même ordre logique, Louis Lortie n'aura pas non plus tout à fait mené à terme la grande épopée tragique et transcendante qu'on peut attendre d'une intégrale des études de Chopin. Là aussi, absolument rien de déshonorant ne saurait être déploré, en regard de l'élévation du défi. On a retrouvé le Lortie qui inspire assez irrésistiblement la sympathie par l'évidence de sincérité de son engagement et de sa passion de la musique qu'il joue. Ce qu'il fait est absolument sérieux dans le sens d'une dévotion aux apparences souvent naïves, mais qui n'en éveille pas moins d'empathie. Ce d'autant que le Canadien aime vivre dangereusement. C'est à peine s'il fait la plus petite concession en vue d'assurer la stabilité (les notes, il les a grosso modo) dans le terrible diptyque d'ouverture de l'opus 10. L'ut majeur passe, sans grande subtilité mais avec un sens certain de la majesté, la la mineur ne trépasse pas, mais à l'allure comme trop souvent excessivement véloce que choisit Lortie, il s'en faut de peu, la main gauche se faisant fébrile et instable (on s'apercevra au fur et à mesure qu'il s'agit de son talon d'Achille). La suite est nettement plus satisfaisante, directe, sans fioriture mais parfois non dépourvue d'élégance, bref, un résumé de Lortie. L'étude en mi bémol interrompt quelque peu l'idylle : la tension se perd, le geste manque trop de respiration naturelle pour parvenir à être poignant. La suite renoue avec un fort bon niveau, à la faveur de l'amour forcément immense qui étreint l'authentique chopinien quand il s'agit de la sublime suite qui mène de la 7e étude à la 11e (la redoutable 8e, et la 11e étant particulièrement bien troussées). L'ut mineur décevra plus, comme souvent, ne se montrant intéressante que dans sa seconde moitié, où Lortie manie avec tact les variations d'articulation, alternant spicatto et legato.
Les trois posthumes sont en revanche une franche déception, d'autant plus que je me faisais une joie de les entendre en concert pour... la première fois (mais oui !). A l'exception, certes, de la 3e, mais presque trop spirituelle et taquine. La fa mineur est franchement survolée, et la mi bémol carrément triviale, à un point inattendu sous ces mains-là. L'opus 25 parvient en revanche à sauver presque entièrement les apparences. Certes, la 3e manque de variété de caractère, la 7e, émouvante dans l'ensemble, pâtit d'un vilain passage en force de la cadence de main gauche (déjà manquant de grâce dans la section centrale de l'étude en mi mineur) : mais jusqu'à la 10e, mettant à l'honneur la spécialité maison du jour (les doubles octaves quasi infaillibles, frappés sans rebond apparent mais bizarrement sans guère de crispation sonore), la grande progression lyrique a lieu, même modestement, et les 6e, 9e et surtout 2e études offrent à entendre de très belles choses. Hélas, ce bel élan est interrompu par une 11e étude manifestement en-deçà des capacités de Lortie, victime à l'évidence d'un coup de fatigue par nature excusable. Mais fort frustrant dans ce contexte, alors même que la 12e était propre et intelligemment menée, avec la sorte de crescendo expressif imperceptible et continu qui est ici si désirable. A cette suite, Orage et les sonnets 47 et 123, certes dans un autre genre bien plus extraverti et viril, ne sont guère plus plaisants que ceux d'Angelich.
Ceci étant, je retourne et retournerai toujours écouter Lortie. Je ne suis pas certain de ce qui me touche en lui : peut-être l'idée qu'à chaque fois il y aura forcément, par nécessité mécanique, un moment où il se passera quelque chose de fort, qui même pour une ou deux minutes mérite largement qu'on y assiste.
Des études, Jérôme Granjon en propose lui aussi quelques-unes lors du premier de ses deux récitals Chopin, entièrement différents, données à Lurs dans le cadre du Festival de Forcalquier. Son choix se porte sur les opus 25/1, 2 et 5, avec un bonheur relatif. L'appréciation doit ici être tempérée par l'acoustique par essence difficile d'une église, mais au regard de ce que ce pianiste m'a fait entendre antérieurement comme au cours du même récital, c'est une déception, en particulier pour l'étude en fa mineur, bien trop fébrile et articulée. Sans être toujours très propre, le reste de son programme propose en revanche bien des choses remarquables et même surprenantes, notamment dans les 1e et 3e ballades. La première ouvre le concert de la plus belle des manières, qui n'est pas sans rappeler la prestation dans la même page de Cédric Tiberghien l’automne dernier : la même forme d'humilité, mettant à distance tout volontarisme et surtout toute compensation expressive (si ça ne sort, ça ne sort pas, on ne plaque pas un phrasé idiot ou un accent pseudo héroïque pour donner le change, jamais), mais avec une tension presque corrosive en sus. Les transitions, tout à fait dépourvues d'affectation, sont toutes très bien conduites, et si la réalisation de certains traits des dernières pages laisse à désirer, on s'en tient à l'essentiel : une 1ère Ballade qui avance sans jamais chercher à exhiber une image de l'oeuvre à la place de l’œuvre. Une réduction à l'essentiel tout aussi remarquable dans la ballade en la bémol, la plus systématiquement massacrée en concert, me semble-t-il. Compte-tenu de cet état de fait, le résultat n'en est que plus touchant et enthousiasmant.
Dans la même tonalité à tous points de vue, le second nocturne de l'opus 32 (page fabuleuse que Granjon a déjà le mérite de choisir plutôt que les sempiternels opus 9, 27/2, 48/1...) déploie son gigantesque chant d'amour avec un naturel poignant. Relevant davantage d'un rôle de composition (il s'agissait de premières exécutions publiques pour ce pianiste), la polonaise héroïque et la sonate funèbre, comme il convient donc de les appeler, convainquent moins tout en présentant les mêmes qualités, en quelque sorte méthodologiques. Et la seconde nommée a un formidable mérite, celui d'oser défendre, comme récemment Maurizio Pollini, l'option de la reprise à la première mesure de l’œuvre - je ne m'étendrai pas sur cette question importante mais renvoie les lecteurs intéressés à ce que j'en ai dit ici. Enfin, les mazurkas de l'opus 30 se situent dans un entre-deux de jugement : leur caractère direct, lavé de toute musicalité et stylisation scolaire, est à porter au crédit moral (très largement positif, on l'aura compris) du pianiste, mais dans des conditions déjà inappropriées, le geste pianistique manque toutefois de raffinement immédiat.
Que j'aurais aimé, toutefois, écouter ce qu'il avait à faire du programme du lendemain, quasiment le plus magnifique qui se puisse rêver (études op. 10/8-10, 4e Scherzo, 3e Sonate...). J'espère avoir l'occasion bientôt de reparler plus tranquillement de ce pianiste trop méconnu à l'échelle nationale (à 45 ans, il ne fait que réellement entamer une carrière de concertiste), que des amis ont eu l'excellente idée de m'emmener écouter à plusieurs reprises.
Venons-en enfin au versant parisien de cet été. A la croisée de Liszt et Chopin cette fois, le récital de Mûza Rubackyte déçoit assez, en regard de ce que la grande dame du piano lituanien nous avait fait entendre dans ce répertoire Salle Gaveau il y a deux ans. Apparemment dans un mauvais jour, en mal de concentration, Rubackyte s'appuie d'un bout à l'autre sur sa science consommée d'un piano orchestral toujours impressionnant, mais qui ici tourne à vide la plupart du temps. Par le son, la puissance et la prise de risques, sa Suisse présente certes davantage d'enjeux dramatiques que celle d'Angelich, mais, dans une toute autre optique, aussi peu de variété de climat. C'est une cavalcade héroïque du grand virtuose à travers une Helvétie trop évidemment légendaire et fantastique pour être crédible, surtout dans une vallée d'Oberman massive, qui ne descend presque jamais en-dessous d'un mezzo-forte opulent.
Paradoxalement, sa 2e de Chopin sera plus intéressante et sauvera l'honneur, alors même qu'elle fut bien plus approximative, Rubackyte enchaînant du début du premier mouvement jusqu'à la fin du second les raccourcis harmoniques dus à une mémoire en grande difficulté. Mais curieusement, cette fragilisation sert presque plus sa prestation que l'excès de conquête qui la précédait : des déséquilibres inattendus se créent, notamment dans la réexposition du premier mouvement, où Rubackyte se décide faute de mieux à lâcher prise de façon quasi expérimentale, comme pour voir ce qui allait sortir. Et de fait, des phrases riches, pleine de sens, affleurent et parviennent à émouvoir.
Sans surprise, au bout de cette série romantique aussi dépourvue de déplaisir que de transcendance, Lise de la Salle se distingue. Après une parenthèse chopinienne qui, avec la meilleur volonté du monde, aura eu du mal à me convaincre, celle qui reste bien seule comme espoir crédible du piano français opère donc un retour heureux à Liszt. Après tout, nombre de ses plus belles réussites antérieures, au disque comme au concert, étaient lisztiennes. Je ne peux que regretter égoïstement que son nouveau programme ne prolonge pas certains des gestes magnifiques qu'elle a offerts depuis ses débuts il y a sept ans (Saint François de Paule, les Deux études de concert, en particulier), mais la nouveauté, sans apporter de révélation, ne dépareille nullement. Le plaisir de ces doubles retrouvailles (avec Lise et surtout avec Lise jouant Liszt) est toutefois sérieusement altéré par les conditions d'écoute des Serres d'Auteuil, qui dans l'ordre du pire ne connaissent guère de concurrence. J'ai cru comprendre que le lieu ne résisterait pas à l'extension programmée de Roland-Garros , et surtout, ce qui m'évitera de passer pour un grand méchant pour rien, que le festival saurait bien se redéployer "ailleurs". Dont acte, vive le tennis.
Ni légendes, ni études (pas même Mazeppa en bis, mais on patientera jusqu'au Louvre en décembre), mais un programme globalement très bien tenu, même si la force la plus caractéristique de LDLS ne se manifeste essentiellement qu'en première moitié de récital. La ballade en si mineur, Nuages gris et Funérailles s'enchaînent presque d'un bloc unitaire (les deux derniers le sont effectivement) avec la gravité non feinte et puissamment ancrée dans la viscéralité d'écoute coutumière de la jeune femme. Les deux morceaux de bravoure ici présentés ont en plus et surtout un très grand mérite partagé, celui de ne rien surjouer en matière de dialectique formelle, laissant parler la logique de tension de l'harmonie sans transformer les thèmes disjoints en hypothétiques personnages antagonistes. Ils sont, de ce point de vue, plus accomplis formellement, sinon pianistiquement (à vérifier dans une vraie salle, tout de même) que ne l'était sa Dante. Et même dans ces conditions, les roulements puissamment retenus de sa main gauche dans la 2e Ballade convoquent irrésistiblement le souvenir de ses Saint-François, ce qui est un plaisir en soi.
La très bonne surprise de ce récital consiste en voir LDLS renouer de la plus belle des manières avec le répertoire du XXe siècle. On peut voir son choix comme succinct ou ambitieux, peu importe de toute manière : son troisième des Trois préludes de Dutilleux est admirable d'équilibre logique et de domination des jeux techniques comme faisant écho aux études de Debussy (qui lui conviendraient sans doute tout autant). Il s'agit, on s'en doute, d'un Dutilleux justement plus proche du Debussy tardif que successeur des préludes du même : abstrait et sévère, peu porté sur l'ambiguïté et la suggestion stylisée - en un mot, peu français de représentation, mais cette pianiste est après tout assez peu française. C'est sans doute davantage le mien, et je ne demande qu'à en entendre plus - je suis surtout persuadé que Lise jouerait admirablement bien des œuvres cardinales de cette période, à commencer par la Sonate de Carter. Les transcriptions lisztiennes sont forcément moins heureuses, compte-tenu du défi impossiblement haut qu'elles imposent à l'interprète contemporain. Ces pièces, mis à part la mort d'Isolde que Lise joue tout de même beaucoup mieux que presque tout le monde (moins bien toutefois qu'au TCE l'an passé, et ce bien qu'un monsieur à côté de moi ait manifestement atteint l'orgasme sur "In des Welt-Atems"), sont trop chargées, connotées même en histoire interprétatives pour que l'on puisse, d'une certaine façon, les écouter honnêtement. Surtout un mois après avoir écouté Virsaladze jouer Widmung. C'est presque triste, car le Widmung de Lise est fort beau, tout autant que son inattendu Frühlingsnacht donné en bis. Autant que lui donner le temps, il faudra aussi prendre le nôtre ; c'est le même après tout.
Tant pis, faisons avec ce que l'on a. L'amusant, symptomatique ou non, je ne saurais pas le dire, est qu'au sortir de l'éprouvante année Chopin ayant précédé, nos pianistes ont tous réussi, à l'exception de Nicholas Angelich, à diluer - le terme est critiquement neutre - un peu ou beaucoup de Chopin dans leur potion lisztienne. En bis pour Lise de la Salle, en consistant complément de programme pour Rubackyte, et comme vous pouvez le lire dans les programmes, carrément en sympathique subversion au conformisme latent pour Lortie et Granjon, le premier gratifiant tout de même son public d'un triple rappel... lisztien : après tout, lui vient d'enregistrer l'intégrale des Années de Pèlerinage, comme Angelich il y a huit ans, qui en avait fait un passage obligé de La Roque, et remettait le couvert pour le bicentenaire.
Angelich durant l'intégrale des Années de Pèlerinage à La Roque © Leslie Verdet |
Commençons donc par ces courageux encyclopédistes. Donnée deux fois au début de la dernière décennie, l'intégrale des Années de Nicholas Angelich avait laissé de forts beaux souvenirs aux mélomanes - je n'avais pour ma part entendu qu'une belle 2e Année, en 2004 à Lille. Depuis cette époque pourtant pas si éloignée, mais comme dans nombre de répertoires, le jeu du pianiste franco-américain a perdu en vivacité et en variété de caractère : le charme de son instabilité rythmique s'est dépourvu d'une partie de sa justification, qui était l'absence de volontarisme, voire une quasi-passivité quand il jouait avec partition comme, justement, dans le grand voyage lisztien. Si le piano reste assez beau, toujours moelleux et suffisamment projeté, il est devenu plus univoque, proposant toujours le même type d'articulation harmonique, sans trop de fantaisie et surtout d'aspérité : quand Angelich attaque Orage, le résultat est assez propre et cohérent, mais cela ressemble presque à un rôle de composition. Il en va de même dans la Dante, qui, me semble-t-il, osait davantage de polychromie sonore, et de bifurcations discursives assumées il y a sept ans.
Au-delà de ces cas qui sont d'espèce, l'ensemble oscille entre beaux moments, dans le sens assez exact d'un moment musical agréable, et sas d'ennui plus ou moins longs. Dans la première catégorie rentre une large part de la 1e Année : la Chapelle de Guillaume Tell, lyrique et touchante en dépit d'une battue instable, la Pastorale, Eglogue, tous deux à la limite du fleur bleu, mais y flirtant avec finesse. La vallée d'Oberman s'est considérablement ralentie à l'instar de tout le cycle, mais ici l'échelonnement intimiste très tenu des dynamiques parvient à convaincre de sa force de concentration, et finalement à émouvoir : ce qui fonctionnera moins bien dans les cloches de Genève, presque pointillistes et dont le discours s'effrite de façon frustrante. Malheureusement, le même phénomène confinant à l'anecdote se manifeste dans les trois sonnets de la 2e Année, en particulier dans les 104 et 123, dénervés et versant dans une complaisance picturale presque ravéliennne, pour moi assez horripilante. Là encore, la frustration est grande, car Angelich a toujours bien joué les pièces précédentes de l'Italie, en particulier la Canzonetta, pleinement tendre sans se départir de son profond sérieux. Même Sposalizio, où Angelich passait après rien moins que Virsaladze, s'écoute sans déplaisir, et à cet égard, je me dis rétroactivement que les sonnets de Pétrarque sont représentatifs de ces trop nombreuses pages, lisztiennes ou autres, où ce pianiste gâche ses moyens à force d'esthétisme.
Dans la 3e Année, c'est une autre forme de complaisance qui parfois lasse, alors que l'on ne demande pas mieux que de se laisser porter, oreilles en sympathie, vers le terme de l'aventure. Là encore le ralentissement comme procédure montre ses limites : le jeu a beau éviter le prosaïsme sonore, il n'offre pas une densité harmonique suffisante pour défendre cette vision uniformément sombre et sur-creusée de pièces déjà si délicates à tendre que les Cyprès, la marche funèbre ou Sursum corda - sur ce dernier, le contraste avec les deux exécutions certes grandioses mais aussi et surtout émaciées de Gabor Csalog était frappant. Rien de tout cela n'aura été mauvais, on s'en doute, mais le frisson pourtant aussi désiré que possible ne m'a jamais parcouru l'échine. Au mieux la charge en caractérisation des Jeux d'eaux (d'ailleurs bissés) intéresse-t-elle par son refus d'une symbolique trop naïve, d'une représentation de premier degré du titre de la pièce : cela ne suffit à compenser le premier degré pas loin d'être omniprésent dans l'exécution de l'essentiel de cette troisième année. Au total, subsistent indéniablement des instants gratifiants, et naturellement, la performance au sens le plus noble. Mais il est aussi permis de penser que cette sorte de neutralisation studieuse, appliquée (à cause des caméras et micros, peut-être) rate la progression dramatique attendue à une telle soirée.
Lortie le 16 août à La Roque © Leslie Verdet |
Dans le même ordre logique, Louis Lortie n'aura pas non plus tout à fait mené à terme la grande épopée tragique et transcendante qu'on peut attendre d'une intégrale des études de Chopin. Là aussi, absolument rien de déshonorant ne saurait être déploré, en regard de l'élévation du défi. On a retrouvé le Lortie qui inspire assez irrésistiblement la sympathie par l'évidence de sincérité de son engagement et de sa passion de la musique qu'il joue. Ce qu'il fait est absolument sérieux dans le sens d'une dévotion aux apparences souvent naïves, mais qui n'en éveille pas moins d'empathie. Ce d'autant que le Canadien aime vivre dangereusement. C'est à peine s'il fait la plus petite concession en vue d'assurer la stabilité (les notes, il les a grosso modo) dans le terrible diptyque d'ouverture de l'opus 10. L'ut majeur passe, sans grande subtilité mais avec un sens certain de la majesté, la la mineur ne trépasse pas, mais à l'allure comme trop souvent excessivement véloce que choisit Lortie, il s'en faut de peu, la main gauche se faisant fébrile et instable (on s'apercevra au fur et à mesure qu'il s'agit de son talon d'Achille). La suite est nettement plus satisfaisante, directe, sans fioriture mais parfois non dépourvue d'élégance, bref, un résumé de Lortie. L'étude en mi bémol interrompt quelque peu l'idylle : la tension se perd, le geste manque trop de respiration naturelle pour parvenir à être poignant. La suite renoue avec un fort bon niveau, à la faveur de l'amour forcément immense qui étreint l'authentique chopinien quand il s'agit de la sublime suite qui mène de la 7e étude à la 11e (la redoutable 8e, et la 11e étant particulièrement bien troussées). L'ut mineur décevra plus, comme souvent, ne se montrant intéressante que dans sa seconde moitié, où Lortie manie avec tact les variations d'articulation, alternant spicatto et legato.
Les trois posthumes sont en revanche une franche déception, d'autant plus que je me faisais une joie de les entendre en concert pour... la première fois (mais oui !). A l'exception, certes, de la 3e, mais presque trop spirituelle et taquine. La fa mineur est franchement survolée, et la mi bémol carrément triviale, à un point inattendu sous ces mains-là. L'opus 25 parvient en revanche à sauver presque entièrement les apparences. Certes, la 3e manque de variété de caractère, la 7e, émouvante dans l'ensemble, pâtit d'un vilain passage en force de la cadence de main gauche (déjà manquant de grâce dans la section centrale de l'étude en mi mineur) : mais jusqu'à la 10e, mettant à l'honneur la spécialité maison du jour (les doubles octaves quasi infaillibles, frappés sans rebond apparent mais bizarrement sans guère de crispation sonore), la grande progression lyrique a lieu, même modestement, et les 6e, 9e et surtout 2e études offrent à entendre de très belles choses. Hélas, ce bel élan est interrompu par une 11e étude manifestement en-deçà des capacités de Lortie, victime à l'évidence d'un coup de fatigue par nature excusable. Mais fort frustrant dans ce contexte, alors même que la 12e était propre et intelligemment menée, avec la sorte de crescendo expressif imperceptible et continu qui est ici si désirable. A cette suite, Orage et les sonnets 47 et 123, certes dans un autre genre bien plus extraverti et viril, ne sont guère plus plaisants que ceux d'Angelich.
Ceci étant, je retourne et retournerai toujours écouter Lortie. Je ne suis pas certain de ce qui me touche en lui : peut-être l'idée qu'à chaque fois il y aura forcément, par nécessité mécanique, un moment où il se passera quelque chose de fort, qui même pour une ou deux minutes mérite largement qu'on y assiste.
Des études, Jérôme Granjon en propose lui aussi quelques-unes lors du premier de ses deux récitals Chopin, entièrement différents, données à Lurs dans le cadre du Festival de Forcalquier. Son choix se porte sur les opus 25/1, 2 et 5, avec un bonheur relatif. L'appréciation doit ici être tempérée par l'acoustique par essence difficile d'une église, mais au regard de ce que ce pianiste m'a fait entendre antérieurement comme au cours du même récital, c'est une déception, en particulier pour l'étude en fa mineur, bien trop fébrile et articulée. Sans être toujours très propre, le reste de son programme propose en revanche bien des choses remarquables et même surprenantes, notamment dans les 1e et 3e ballades. La première ouvre le concert de la plus belle des manières, qui n'est pas sans rappeler la prestation dans la même page de Cédric Tiberghien l’automne dernier : la même forme d'humilité, mettant à distance tout volontarisme et surtout toute compensation expressive (si ça ne sort, ça ne sort pas, on ne plaque pas un phrasé idiot ou un accent pseudo héroïque pour donner le change, jamais), mais avec une tension presque corrosive en sus. Les transitions, tout à fait dépourvues d'affectation, sont toutes très bien conduites, et si la réalisation de certains traits des dernières pages laisse à désirer, on s'en tient à l'essentiel : une 1ère Ballade qui avance sans jamais chercher à exhiber une image de l'oeuvre à la place de l’œuvre. Une réduction à l'essentiel tout aussi remarquable dans la ballade en la bémol, la plus systématiquement massacrée en concert, me semble-t-il. Compte-tenu de cet état de fait, le résultat n'en est que plus touchant et enthousiasmant.
Dans la même tonalité à tous points de vue, le second nocturne de l'opus 32 (page fabuleuse que Granjon a déjà le mérite de choisir plutôt que les sempiternels opus 9, 27/2, 48/1...) déploie son gigantesque chant d'amour avec un naturel poignant. Relevant davantage d'un rôle de composition (il s'agissait de premières exécutions publiques pour ce pianiste), la polonaise héroïque et la sonate funèbre, comme il convient donc de les appeler, convainquent moins tout en présentant les mêmes qualités, en quelque sorte méthodologiques. Et la seconde nommée a un formidable mérite, celui d'oser défendre, comme récemment Maurizio Pollini, l'option de la reprise à la première mesure de l’œuvre - je ne m'étendrai pas sur cette question importante mais renvoie les lecteurs intéressés à ce que j'en ai dit ici. Enfin, les mazurkas de l'opus 30 se situent dans un entre-deux de jugement : leur caractère direct, lavé de toute musicalité et stylisation scolaire, est à porter au crédit moral (très largement positif, on l'aura compris) du pianiste, mais dans des conditions déjà inappropriées, le geste pianistique manque toutefois de raffinement immédiat.
Que j'aurais aimé, toutefois, écouter ce qu'il avait à faire du programme du lendemain, quasiment le plus magnifique qui se puisse rêver (études op. 10/8-10, 4e Scherzo, 3e Sonate...). J'espère avoir l'occasion bientôt de reparler plus tranquillement de ce pianiste trop méconnu à l'échelle nationale (à 45 ans, il ne fait que réellement entamer une carrière de concertiste), que des amis ont eu l'excellente idée de m'emmener écouter à plusieurs reprises.
Venons-en enfin au versant parisien de cet été. A la croisée de Liszt et Chopin cette fois, le récital de Mûza Rubackyte déçoit assez, en regard de ce que la grande dame du piano lituanien nous avait fait entendre dans ce répertoire Salle Gaveau il y a deux ans. Apparemment dans un mauvais jour, en mal de concentration, Rubackyte s'appuie d'un bout à l'autre sur sa science consommée d'un piano orchestral toujours impressionnant, mais qui ici tourne à vide la plupart du temps. Par le son, la puissance et la prise de risques, sa Suisse présente certes davantage d'enjeux dramatiques que celle d'Angelich, mais, dans une toute autre optique, aussi peu de variété de climat. C'est une cavalcade héroïque du grand virtuose à travers une Helvétie trop évidemment légendaire et fantastique pour être crédible, surtout dans une vallée d'Oberman massive, qui ne descend presque jamais en-dessous d'un mezzo-forte opulent.
Paradoxalement, sa 2e de Chopin sera plus intéressante et sauvera l'honneur, alors même qu'elle fut bien plus approximative, Rubackyte enchaînant du début du premier mouvement jusqu'à la fin du second les raccourcis harmoniques dus à une mémoire en grande difficulté. Mais curieusement, cette fragilisation sert presque plus sa prestation que l'excès de conquête qui la précédait : des déséquilibres inattendus se créent, notamment dans la réexposition du premier mouvement, où Rubackyte se décide faute de mieux à lâcher prise de façon quasi expérimentale, comme pour voir ce qui allait sortir. Et de fait, des phrases riches, pleine de sens, affleurent et parviennent à émouvoir.
Sans surprise, au bout de cette série romantique aussi dépourvue de déplaisir que de transcendance, Lise de la Salle se distingue. Après une parenthèse chopinienne qui, avec la meilleur volonté du monde, aura eu du mal à me convaincre, celle qui reste bien seule comme espoir crédible du piano français opère donc un retour heureux à Liszt. Après tout, nombre de ses plus belles réussites antérieures, au disque comme au concert, étaient lisztiennes. Je ne peux que regretter égoïstement que son nouveau programme ne prolonge pas certains des gestes magnifiques qu'elle a offerts depuis ses débuts il y a sept ans (Saint François de Paule, les Deux études de concert, en particulier), mais la nouveauté, sans apporter de révélation, ne dépareille nullement. Le plaisir de ces doubles retrouvailles (avec Lise et surtout avec Lise jouant Liszt) est toutefois sérieusement altéré par les conditions d'écoute des Serres d'Auteuil, qui dans l'ordre du pire ne connaissent guère de concurrence. J'ai cru comprendre que le lieu ne résisterait pas à l'extension programmée de Roland-Garros , et surtout, ce qui m'évitera de passer pour un grand méchant pour rien, que le festival saurait bien se redéployer "ailleurs". Dont acte, vive le tennis.
Ni légendes, ni études (pas même Mazeppa en bis, mais on patientera jusqu'au Louvre en décembre), mais un programme globalement très bien tenu, même si la force la plus caractéristique de LDLS ne se manifeste essentiellement qu'en première moitié de récital. La ballade en si mineur, Nuages gris et Funérailles s'enchaînent presque d'un bloc unitaire (les deux derniers le sont effectivement) avec la gravité non feinte et puissamment ancrée dans la viscéralité d'écoute coutumière de la jeune femme. Les deux morceaux de bravoure ici présentés ont en plus et surtout un très grand mérite partagé, celui de ne rien surjouer en matière de dialectique formelle, laissant parler la logique de tension de l'harmonie sans transformer les thèmes disjoints en hypothétiques personnages antagonistes. Ils sont, de ce point de vue, plus accomplis formellement, sinon pianistiquement (à vérifier dans une vraie salle, tout de même) que ne l'était sa Dante. Et même dans ces conditions, les roulements puissamment retenus de sa main gauche dans la 2e Ballade convoquent irrésistiblement le souvenir de ses Saint-François, ce qui est un plaisir en soi.
La très bonne surprise de ce récital consiste en voir LDLS renouer de la plus belle des manières avec le répertoire du XXe siècle. On peut voir son choix comme succinct ou ambitieux, peu importe de toute manière : son troisième des Trois préludes de Dutilleux est admirable d'équilibre logique et de domination des jeux techniques comme faisant écho aux études de Debussy (qui lui conviendraient sans doute tout autant). Il s'agit, on s'en doute, d'un Dutilleux justement plus proche du Debussy tardif que successeur des préludes du même : abstrait et sévère, peu porté sur l'ambiguïté et la suggestion stylisée - en un mot, peu français de représentation, mais cette pianiste est après tout assez peu française. C'est sans doute davantage le mien, et je ne demande qu'à en entendre plus - je suis surtout persuadé que Lise jouerait admirablement bien des œuvres cardinales de cette période, à commencer par la Sonate de Carter. Les transcriptions lisztiennes sont forcément moins heureuses, compte-tenu du défi impossiblement haut qu'elles imposent à l'interprète contemporain. Ces pièces, mis à part la mort d'Isolde que Lise joue tout de même beaucoup mieux que presque tout le monde (moins bien toutefois qu'au TCE l'an passé, et ce bien qu'un monsieur à côté de moi ait manifestement atteint l'orgasme sur "In des Welt-Atems"), sont trop chargées, connotées même en histoire interprétatives pour que l'on puisse, d'une certaine façon, les écouter honnêtement. Surtout un mois après avoir écouté Virsaladze jouer Widmung. C'est presque triste, car le Widmung de Lise est fort beau, tout autant que son inattendu Frühlingsnacht donné en bis. Autant que lui donner le temps, il faudra aussi prendre le nôtre ; c'est le même après tout.
Théo Bélaud
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